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suintait aux murs, et les rats y tenaient les états : il était impossible ensuite d’y remuer à cause du peu d’espace. Les comédiens y entraient donc pour le nécessaire du vêtement, et venaient s’achever ensuite et se pomponner pêle-mêle dans le foyer, où il y avait du moins de la lumière et du feu. Les amateurs de la ville avaient là leurs entrées, et venaient jaser pendant la toilette et le spectacle.

Collinet, troublé par le bruit qui se faisait autour de lui, s’était assis dans un coin, tâchant de se recueillir et de rappeler à lui sa raison prête à le quitter. On se souvient du rôle qu’il devait remplir ; il jouait Jocrisse : c’était lui qui devait égayer toute la pièce. Son costume était un chef-d’œuvre de monstruosités bouffonnes, un ensemble incroyable de jambes torses, de lambeaux rapiécés ; nez postiche, verrues, pelotes de foin dans les bas, perruque à crins de cheval, sourcils en accents circonflexes, fausses rides, barbouillage de rouge, de bleu, de noir, pour simuler le plus hideux et le plus singulier visage qui fût jamais. À une certaine scène de la pièce, Jocrisse paraissait en vieillard ridicule ; on le battait, on lui arrachait sa perruque, et il demeurait dépouillé avec un crâne chauve au-dessus de ce corps et de ce visage. Collinet repassa d’un coup d’œil ces détails de son rôle, et songea par éclairs à Clémence qui les devait voir. L’heure pressait, on l’avertit ; il se leva et déclara qu’il était malade et qu’il ne jouerait pas. On s’étonne, on l’entoure. « Mais quoi ? — Je suis malade. — Cela n’est pas vrai. — Je ne veux pas jouer. — Mais le public ? — Qu’importe ! — Mais la pièce ? — Je ne jouerai pas ! »