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bien je souffre et combien je le cache ? Et ces sourires ne vous fendent pas le cœur ! et cela ne vous désarme pas ! Et vous n’avez pas le sens, la bonté de vous en apercevoir ! et vous ne vous dites pas : Mais cet homme ne nous a rien fait, mais nous l’opprimons, nous le torturons à plaisir, mais il pâlit, il écume, il s’exaspère au dedans de lui, mais il pourrait bien à la fin nous sauter au visage ; et nous l’irritons cependant, nous le frappons sans pitié et sans trêve, comme s’il n’avait ni cœur, ni âme, ni esprit comme nous ! comme s’il était de bois et de boue comme nous ! — C’est donc sérieux. Tu te fâches, Collinet, tu te mets en colère. — Eh bien ! oui, puisque vous le savez, je l’aime, cette femme, je l’aime avec fureur, avec folie, et je ne rirai plus maintenant. C’était la seule place de mon cœur qui pût saigner à présent, vous l’avez découverte, frappez. Tenez, Pelletier, vous avez plus d’esprit que les autres, et vous êtes meilleur aussi. Vous comprenez cela, vous. J’aime Clémence à en mourir. Je ne me serais pas cru capable de ce que je fais. Je suis bien malheureux. Vous savez, cela peut arriver à tout le monde. Ce sont des choses qu’on respecte. Est-ce quand je suis déjà si misérable qu’on peut avoir le courage de m’accabler ! Qu’on aie un peu pitié de moi ! Je l’aime, je suis fou, je ne dors plus, je fais des choses extravagantes. »

Collinet s’essuyait les yeux. Pelletier le regardait faire, s’efforçant de tenir son sérieux. Les souvenirs de Jocrisse et des rôles du comédien lui passaient dans l’esprit. Il riait plus fort à mesure que cette douleur paraissait plus vive et plus vraie. Il reprit : « Eh bien, l’on verra cela. Ne t’afflige pas. Nous t’aurions servi si tu t’étais expliqué. On