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moins. Le directeur, pour débuter, avait choisi des farces qui mirent tout l’endroit en belle humeur. Il y avait parmi les comédiens un garçon vif et gai qui devint l’idole du parterre et le modèle idéal des plaisants du lieu. C’était le premier comique, il s’appelait Collinet.

On traita les artistes comme de coutume, d’abord avec respect et curiosité. On les regardait passer, on les montrait au doigt, on aspirait à les approcher, à leur être agréable, on s’honorait d’un signe de leur attention. Puis enfin, quand on leur eut parlé et qu’ils furent devenus des familiers du café, qui buvaient bien et payaient mal comme de simples mortels, on n’y prit plus garde, on les déprisa comme on les avait estimés, plus qu’ils ne méritaient.

Collinet, par désœuvrement, suivit ses camarades à la Couronne, la taverne la plus achalandée. Ce fut à lui surtout qu’on fit fête. On savait ses rôles par cœur ; on singeait ses lazzis ; et, quand il paraissait, son nom partait de tous les coins de la salle. On riait rien qu’à le voir. Il semblait qu’on vît Jeannot et Jocrisse. Il saluait, on riait ; il s’asseyait, on riait ; il ouvrait la bouche, on riait plus fort ; et pour tant qu’il eût d’esprit, cet engoûment niais le gâtait parfois. Ce fut d’abord à qui l’aurait. Il était de tous les régals, et chacun l’invitait pour jouir de ses facéties.

La pauvreté de ses habits, le monde où il vivait, les misères d’une condition pour laquelle il n’était pas fait, avaient à la longue humilié Collinet. Il se sentait à certains égards au-dessous de ces jeunes gens bien vêtus qui lui faisaient politesse ; il se crut du moins obligé de les diver-