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— Mon ami, il s’agit ici du travail de quarante années ; tu peux juger par la peine qu’il m’a coûtée, des fruits qui en auraient pu résulter. Ce fut l’espérance, le rêve de toute ma vie… les puissants du jour l’ont détruit… Dieu leur fasse paix… Ces cheveux ont blanchi, mon visage s’est couvert de rides dans la solitude tandis que je méditais une découverte à laquelle tenait ma fortune et le bien être de l’humanité… mes efforts étant couronnés d’un plein succès, j’ai quitté ma maison et mes enfants…

Ici Thibault essuya une larme.

— J’arrive du fond de la France, je touche au but de mes désirs… plus rien… ils renversent le gouvernement… Dieu sait pourquoi !… tout est anéanti… mes travaux, mes succès, mon long voyage, tout est inutile.

— Enfin de quoi s’agit-il ? dit mon père attendri de cet exorde.

— Tu es mon vieil ami, tu es pour mieux dire un frère pour moi, Guisep ; je puis te confier ce secret… qu’il meure avec toi !…

Là-dessus, se rapprochant et parlant d’une voix étouffée, il détailla longuement l’influence qu’il avait acquise sur les variations de l’atmosphère.

Mon père ici déploya un sang-froid, une présence d’esprit, un empire sur lui même, qui sont bien dignes d’admiration. Il redoubla de gravité à mesure que Thibault développait son système ; il en discuta les moyens, il proposa des difficultés, demanda des éclaircissements, et se rendit aux explications. Puis tout à coup, s’arrêtant à son tour et se rejetant en arrière, la tête haute, le jarret tendu, il frappa de la main sur l’épaule de son ami :