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Thibault lui fournissait ses démonstrations qu’il terminait par sa conséquence favorite :

— Monsieur un tel, je suppose, propriétaire, a des terres qui souffrent de la sécheresse, il vient me trouver…

— Tu lui lâches une inondation ! tu le noies, tu le submerges, je te vois d’ici ! interrompit l’autre avec la moquerie pétulante du midi.

Mais jamais il n’était entré dans l’esprit candide et sérieux de Thibault, qu’on pût se moquer de lui ; les profondes convictions des hommes de sa sorte ne tiennent souvent qu’à cela. Si cette fatale idée lui fût venue dans la tête, la ville d’Aigues-Mortes eût peut-être perdu avant le temps le fruit des travaux de son plus grand citoyen.

Vous croirez bien que si Thibault, par sa longue retraite, était à peu près ignoré dans sa ville natale, il ne pouvait être souvent question de lui à Paris, dans une famille qui ne l’avait pas vu depuis vingt ans ; mon père ne parlait jamais de cet ami qu’à l’imparfait le plus lointain, si bien que je m’étais figuré, quoiqu’on, ne m’eût rien dit de positif là-dessus, qu’il était mort. Il était bien mort pour nous, en effet ; pour nous, gens de Paris, rien ne ressemble à des tombeaux comme ces villes de province, à deux ou trois cents lieues de distance ; ajoutez l’âge et la condition de Thibault, et puis les récits de mon père dataient de l’an III de la République ! c’étaient choses d’un autre siècle.

Un soir d’été, — j’ai mille raisons pour m’en rappeler la date précise — c’était le 25 juillet 1830 — on venait à peine d’allumer les bougies, et nous étions encore rassem-