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le réveillât pour s’aller coucher ; enfin, durant les longues journées, les deux filles travaillaient à des ouvrages de couture derrière la fenêtre ; elles ne sortaient que le dimanche, et quelquefois dans la semaine, au point du jour, pour aller à la messe. On ne les pouvait donc voir que sur le chemin de l’église, et comme l’église était fort proche de chez elles, il vaudrait autant dire qu’on ne les voyait jamais.

Thibault habitait une chambre du premier étage, longue, étroite, avec une seule fenêtre, et il ne fallait rien moins que la présence d’un lit à ciel, en camaïeu, pour qu’on pût songer à appeler cet endroit une chambre à coucher ; le plancher était encombré d’établis, de métiers, de machines ; les chaises, la cheminée se dérobaient sous des amas d’outils, de ressorts, de rouages, d’instruments, d’ouvrages commencés ; et non-seulement Thibault faisait à l’aide de ses outils toutes sortes d’ustensiles ; mais chacun de ces outils était lui-même un chef-d’œuvre de son invention et confectionné de sa main. Il y avait des scies, des rabots, des bisaiguës, des tours, des pinces, des tarières, inconnus au commun des artisans ; le tout à peu de frais, et ajusté merveilleusement avec des bouts de ficelle, des morceaux de verre, un roseau, un clou, un rien ; il est vrai que nul autre que lui n’aurait pu se servir de ces instruments. Ces insignes mécaniques se mariaient agréablement aux appareils de la distillation, du teinturier-dégraisseur, du tisserand, du corroyeur, etc. Thibault avait enlevé à ses filles la direction des provisions de confitures que l’on fait chaque année dans ce pays-là ; il les faisait cuire, selon des procédés particuliers, sur un ré-