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Nous ne saurions croire, nous autres Parisiens du boulevard Montmartre, qu’on puisse vivre quarante ans sans changer de place ; et ce qui nous condamne doublement en ceci, c’est qu’on ne vit véritablement que dans ce repos. Quoi de plus doux que de vieillir au milieu des souvenir de l’enfance, et de mourir dans le lit où nos pères sont morts !

Dans le fond d’une rue étroite, où croissait entre les pavés une mousse verdâtre, parmi des maisons basses, silencieuses, vieilles comme la ville, à fenêtres grillées ou tendues de papier, la maison de Thibault se distinguait par je ne sais quelle recherche d’inventions, de commodités inusitées, qui trahissait le génie de celui qui l’habitait. On entrait par une porte bâtarde, proprement défendue d’un auvent contre les eaux pluviales. Le marteau de cette porte était assujetti par un fil de fer, autant pour modérer les grands coups frappés par un visiteur, que pour conjurer le génie des petits polissons qui font jouer volontiers ces marteaux avec des ficelles. Une arcade vitrée donnait jour dans la salle basse ; mais cette arcade était garnie de barreaux en dehors, et des rideaux à carreaux rouges et blancs la coupaient à l’intérieur, à la hauteur voulue pour recevoir le jour d’en haut en arrêtant plus bas la vue des curieux. Les deux filles de Thibault, devenues de vieilles filles, se tenaient dans cette salle, où se faisait tout le train du ménage ; on y préparait la cuisine, on y mangeait, on y aurait reçu les étrangers, si jamais des étrangers avaient pu venir chez Thibault ; on y passait les soirées d’hiver au coin du feu, c’est-à-dire que Thibault, entamait un somme sur une chaise basse, jusqu’à ce qu’on