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cette figure a passé devant moi, et j’essaie de la peindre. Je laisserai parler celui de mes amis qui fut en scène.

Mon père m’avait souvent parlé d’un parent éloigné qui ne jouissait pas, disait-on, de son parfait bon sens. Mon père est d’Aigues-Mortes, qu’il a quitté depuis vingt ans ; il y avait laissé ce parent, ce Thibault, qu’il n’avait donc pas vu depuis le même nombre d’années. Jamais il ne parlait de cet homme sans nous rappeler quelque bizarrerie nouvelle d’un comique achevé. Il s’agissait du personnage le plus étrange, le plus inventif, le plus fécond et le plus surprenant dans ses inventions, dont j’aie jamais entendu parler. C’était là probablement ce qui avait fait le plus grand tort à la réputation de son jugement. On connaît cette manie sans pudeur des gens du midi pour les surnoms, qui ferait honte aux hommes du de Viris comme aux écoliers qui l’expliquent. On appelait ouvertement Thibault le Fou, et on le regardait comme tel.

Malgré cette opinion bien établie sur son compte, la ville d’Aigues-Mortes ne fut pas peu émue en le voyant sortir un matin avec deux petits entonnoirs sous le nez, chaque entonnoir planté dans chaque narine. Thibault s’était convaincu que la vivacité de l’air atmosphérique exerçait, au moins quant à lui, une pernicieuse influence sur le cerveau ; ou du moins (car je ne connais pas précisément ses motifs), il voulait que l’air n’y parvînt que plus commodément et dans une dose voulue. Après y avoir mûrement pensé, il se flattait d’avoir résolu la difficulté par ce petit appareil. Les personnes qui lui communiquaient leurs réflexions à ce sujet n’obtinrent d’autre réponses sinon que cette précaution leur était plus indispensable qu’à lui-