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nous parcourons de vastes souterrains où l’on trébuche à des monceaux d’or ! — il n’y a pas moyen d’imaginer rien de pareil dans ce pays que tu ne connais pas. Je craindrais moins un désert des Alpes la nuit qu’une rue de Paris en plein jour. Peut-être ne t’ai-je écrit qu’un rêve de circonstance que j’ai fait en sommeillant au coin du feu à côté de ce pauvre ermite. Je veux bien te dire, pour diriger de mon mieux tes conjectures, que nous partîmes le lendemain sains et gaillards, après avoir reçu la bénédiction du père Henri, et que je viens de recevoir une lettre de Victor en réponse à celle que je lui avais écrite à Genève. Il m’apprend qu’il a visité le père Henri, que le vieil ermite est à présent couché pour ne plus se relever sans doute, et que le jour même où il l’a visité, un prêtre de Martigny lui avait administré l’extrême-onction, entouré de quelques habitants des montagnes. Il est donc probable que le père Henri est mort à l’heure qu’il est.

Suppose enfin, si tu veux, que je m’amuse ou que je prétends t’amuser, et que l’histoire du père Henri n’est qu’une fable ; je n’aurais pas perdu mon temps si tu retirais quelque bénéfice des réflexions que je faisais à ce sujet. Le monde fourmille de ces pères Henri, caractères violents, passionnés, qu’on ne peut plier sous le joug commun. Ils te plaisent même, si j’ai bonne mémoire, et je suis de ton goût ; mais qu’en feras-tu dans tes gouvernements modernes et dans tes États sans religion ? Quel frein leur connais-tu ? quelle autorité, quelles lois, quelle force en viendront à bout ? comment les empêcheras-tu de mettre ton monde à l’envers eu un tour de main ? pour se passer de religion, mon très-cher ami, il faut avoir la tête