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présent que j’ai quitté mes parents, mes amis, mon pays, mes biens, cinquante ans que je vis seul, abandonné, inconnu, cinquante ans que je pleure ; je vais bientôt mourir, et je puis à peine croire que Dieu voudra bien me pardonner… Le père Henri se retourna en me disant :

— Eh bien ! mon fils, me portez-vous encore envie… ou plutôt est-ce que je ne vous fais point horreur ?

Je fus fort troublé par cette question, après un tel récit.

— Je n’ai rien à vous dire là-dessus, sinon que vous m’avez sauvé la vie aujourd’hui et que je ne puis l’oublier.

— Allons, mon fils, vous partirez demain au point du jour. Il est temps de vous reposer ; je me recommande à vos prières ; que Dieu vous donne une bonne nuit et un bon voyage !

Le père Henri passa dans une pièce voisine et je m’étendis sur le lit qu’on m’avait préparé.

Je gage à présent, mon cher ami, que je n’ai fait que te mettre en goût ; assurément tu ne penses pas que mon histoire soit finie, ce ne sont là que les badinages du commencement, et tu attends merveille d’une situation si romanesque. Me voilà couché dans une solitude effroyable, entre un paysan robuste que je ne connais point et ce vieillard qui vient de m’avouer un assassinat. Le guide et l’ermite sont d’intelligence, et cet ermite n’est sans doute qu’un grand drôle qui va tout à l’heure arracher sa barbe et reparaître avec une ceinture de pistolets. L’on va me réveiller au milieu de la nuit avec fracas, et je vais assister à la capture d’une famille de riches voyageurs ; les femmes se débattent, et le chef de brigands s’attendrit ;