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des cris de joie, sur les degrés à fleur d’eau, et traversèrent ensuite le pont étroit qui menait sur la rive, appuyées sur le bras des cavaliers. Je feignis d’avoir quelques mots à dire à ma femme, et je la retins après les autres, en repoussant brusquement le jeune homme qui lui tendait la main. Il comprit sans doute que j’étais un mari jaloux, et je crus l’entendre rire en s’en allant avec ses compagnons, C’était la première marque de mon impatience que j’avais donnée, et nul, si ce n’est peut-être ma femme, ne pouvait imaginer ce que j’éprouvais. Ce rire poussa ma rage à ses dernières limites. La compagnie s’était déjà engagée sous les arbres, sauf quelques jeunes filles qui folâtraient sur le bord et qui nous appelaient en riant. Je mis le pied sur les degrés, et je me retournai pour tendre la main… cette femme alors me jeta un regard épouvanté, où je crus lire des supplications. Elle me livra sa main, et monta sur le pont à ma suite. Il n’y avait place que pour nous deux sur ces planches étroites. Elle avançait pas à pas en me serrant la main. Étonnée de mon silence, car elle attendait sans doute des plaintes, elle commença à voix basse une phrase perfide dont elle ne prononça que les trois premiers mots.

— Prenez garde ! m’écriai-je, et je la poussai dans l’eau d’un brusque et terrible effort. Je me précipitai aussitôt sur elle… alors, mon fils, si vous aviez le courage d’entendre tout ce que la rage des passions peut faire commettre de plus horrible, je vous dirai ce qui se passa… je vous le dirai pour ma dernière expiation… alors je tombai sur elle dans le canal et je la saisis par ses cheveux dénoués ; et, tandis que l’eau soulevait ses vêtements et