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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

sont des pays d’autodidaxie. L’Angleterre parce que le prolétariat y est cultivé, l’Amérique pour le même motif et parce que les distances y sont grandes, la Russie parce que le peuple y manquait de liberté, la Pologne parce que la langue y a été persécutée.

c) Formes diverses. — L’enseignement personnel revêt des formes multiples : enseignement direct et collectif constituant l’enseignement postscolaire par cours publics, conférences, excursions, visite de musées et d’usines, etc. (universités populaires) ; l’enseignement semi-direct, comme les cours par correspondance (International Correspondance School de Scranton) ; l’enseignement indirect ou purement personnel, l’autodidaxie par excellence, aidée par les bibliothèques, les salles de lecture, les éditions populaires, les programmes d’études privées, les guides de lecture.

d) Choix de Livres : Guide de la lecture. — Il est nécessaire de choisir ses lectures.

1. Comte s’en occupe dès 1854 et indique 150 volumes ; Sir John Lublock en indique cent (The Hundred best books). 2. Le Magasin pittoresque, les Pages Libres, l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, la revue italienne Coenobium ont ouvert des enquêtes à ce sujet. 3. H. Mazel en 1906 publie au Mercure de France « ce qu’il faut lire dans sa vie », ouvrage surtout d’ordre littéraire et philosophique. 4. De Brandis en 1911, publie chez Schleicher « Comment choisir nos lectures », plan de lectures tant scientifiques que littéraires. 5. American Library Association Catalog (choix de 8000 volumes destinés aux bibliothèques populaires). 6. Travaux et revues de la National Home Reading Union, Londres 1889. 7. Les travaux russes : a) Programme de lectures à domicile (Programmy Domacheniago Tchtenia) par un groupe de professeurs de Moscou (Vinogradov, Tchouprov, Milioukov) ; b) Programme de lectures pour l’autodidaxie (Programmy Tchtenia dlia Samoobrasovania) par un groupe de professeurs et de savants de Pétrograd (Kovalewsky, Pavlov, Borodine, Skabitckevski, Kariev, Roubakine), comprend un programme encyclopédique et des programmes spéciaux. 8. Le Guide polonais, Programme pour autodidacte (Poradnik dla Samoukow) s’étendant à la fois aux études élémentaires, moyennes et supérieures (exposé dans le Bulletin de l’Institut International de Bibliographie. Le Guide des Autodidactes, une œuvre polonaise d’enseignement par le livre, Bruxelles 1909. 9. Lazare Boïarsky. L’autodidaxie et un guide rationnel de lecture. Le Musée du Livre (Bruxelles, fascicule n° 39, 1917). 10. À travers les livres, de Nicolas Roubakine.

e) Organisation de l’autodidaxie. — L’importance sociale de l’autodidaxie justifie que les pouvoirs publics et les dirigeants du monde intellectuel se préoccupent de lui donner une organisation rationnelle. Rien ne contribuerait mieux à établir l’unité fondamentale de la pensée sociale parmi tous les peuples qu’un grand ouvrage, sorte d’encyclopédie des études, élaboré par les savants de tous les pays, destiné à tous les degrés de l’enseignement, et utilisant toutes les renommées acquises, toute l’expérience des guides de lecture antérieurs.

257.95 Orientation des recherches nouvelles.

Nous ne sommes qu’au début des études sur la lecture. Un immense matériel commenté a été rassemblé, mais il est insuffisant encore et des expériences surtout sont nécessaires. Signalons quelques points.

a) Le livre est l’objet intellectuel intermédiaire entre l’auteur et le lecteur et que celui-ci doit comprendre. Le perfectionnement peut porter également sur les trois termes.

b) Le livre et la lecture sont intimement liés a l’avenir de l’Intelligence. Il paraît vraiment possible d’améliorer l’expression des choses dans le livre lui-même et aussi la compréhension par l’esprit des choses exprimées bibliologiquement.

c) Il faudrait étudier les réactions de l’esprit devant les diverses formes d’une même idée qui constituent une échelle à degrés continus : la chose (l’oiseau par ex.) à l’état réel dans la nature, la même chose dans les collections ou musées : les moulages de telle partie, de tels appareils, de telles fonctions ; les monographies, l’image, le texte descriptif et explicite ; le texte sous la forme subtile de la poésie qui a pris la chose pour sujet.

d) La lecture est une sorte de devination ; l’esprit guidé par l’œil, est toujours en avance sur la parole qui traduit ce qui est écrit. On pourrait comparer tout texte aux vagues de la mer que doit franchir le bateau. Si celui-ci est petit, il devra suivre tous les creux des vagues ; s’il est grand, il pourra fendre les vagues et gagner ainsi sur le temps de l’itinéraire.

e) On lit horizontalement, mais aussi verticalement et diagonalement. On lit jusqu’à ce qu’on ait appris de quoi il s’agit. On saute les lieux communs, les redondances et les répétitions. On saute ce qu’on sait déjà ou ce qui n’a pas d’intérêt pour ce que l’on cherche.

f) On distingue entre la lecture sonore (externe) et la lecture silencieuse (interne). Au fond, la vraie distinction est entre la lecture explicite et la lecture implicite.

g) N’y a-t-il pas une prédisposition héréditaire à la lecture ? Le long effort des générations antérieures, surtout depuis que le peuple tout entier s’est mis à lire, ce long effort n’a-t-il laissé quelque trace dans une structure modifiée du cerveau ?[1]

h) Comprendre plus, plus vite, plus complètement, plus profondément, c’est le but même à assigner à l’intelligence. Dès lors toute amélioration de la lecture, laquelle

  1. Ch. Richet. — Stabilité des caractères acquis. Académie des Sciences de Paris. 7 août 1933.