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LA LECTURE


Rome et éventuellement de condamnation. (Ex. Les luttes à Rome au XVIIe et XVIIIe siècles au sujet de la querelle des cérémonies chinoises.) Les Docteurs en Sorbonne admettaient ou condamnaient ex-officio certaines thèses. Quand ont paru certains ouvrages, les Papes ou bien les ont condamnés, ou bien ont formulé des propositions qu’ils ont condamnées en déclarant ensuite qu’elles se trouvaient dans l’ouvrage. (Ex. Le Livre de Jansenius). Des docteurs ont fait remarquer que l’Église aussi a procédé négativement, disant contre les hérétiques ce qui n’est pas son dogme mais qu’elle n’a pas exposé explicitement ce que contient celui-ci.

f) La censure religieuse existe encore sous la forme de l’approbation ou de l’imprimatur de livres ayant caractère théologique ou ecclésiastique. L’imprimatur n’engage pas l’Église.

g) L’Église romaine a instauré l’Index des livres prohibés (Index librorum prohibitorum). Une congrégation romaine en est chargée. Si tel livre est mis à l’index et non tel autre, qui est encore plus fort, cela tient à ce que l’attention de l’Église est attirée sur un livre, soit par une dénonciation qu’on lui a faite, soit par une question qu’on lui a posée, soit par une campagne qui a été menée au sujet de ce livre, soit surtout à cause de la célébrité de l’auteur.

257 Utilisation du Livre. La lecture.

257.1 Notion de la lecture.

Lire, c’est prendre connaissance du contenu des livres, c’est recueillir ce que les auteurs ont consigné dans les livres. Lire, c’est l’action de comprendre et s’assimiler la pensée d’autrui par l’intermédiaire de caractères graphiques. Pour comprendre, les connaissances nouvelles doivent venir faire corps avec les connaissances antérieurement acquises. Il s’agit d’une opération de corrélation.

257.2 Nécessité et avantages de la lecture en général.

Tout homme doit chercher à vivre en tant qu’être intellectuel, ce qu’il est, et, par conséquent, il doit développer son intelligence sans se laisser absorber entièrement par les fonctions d’ordre automatique ou subalterne. D’autre part, le livre offre le meilleur de la pensée réfléchie et coordonnée des meilleurs esprits. La lecture, dès lors, s’impose à tout homme, car elle entretient la vie de l’esprit qui a besoin de se nourrir d’idées, comme le corps a besoin d’aliments. Une vie sans lecture sera toujours une vie médiocre. Confucius disait déjà : « Apprendre sans penser, c’est perdre ses peines ; penser sans apprendre est périlleux. » Sénèque écrivait : « Réfugie-toi dans l’étude, tu échapperas à tous les dégoûts de l’existence. L’ennui du jour ne te fera pas soupirer après la nuit et tu ne seras pas à charge de toi-même et inutile aux autres. »

Le livre est l’instrument d’une gymnastique cérébrale et sentimentale aussi, qui nous entraîne à être plus clairvoyants et moins impulsifs, qui nous habitue, par l’effort d’une réflexion intime, à exploiter sans relâche toutes nos sources personnelles de raison et d’émotion (Pierre Guitot-Vauquelin). Le livre est un ami, un consolateur, un guide, il est celui qui nous aide à formuler nos pensées et nos sentiments demeurés vagues et imprécis ; il nourrit de sa substance et procure le réconfort spirituel. Retenons cette phrase d’une vieille femme simple et ridée disant au bibliothécaire, en rapportant un livre : « Que de beaux sentiments, un tel livre égaie les heures sombres et nous aide à vivre ».

Au point de vue social, on constate que l’éducation par le livre est, de toutes, la plus économique (La Bibliothèque, l’Université du Peuple, l’Autodidaxie méthodique).

257.3 Buts divers de la lecture.

La lecture peut avoir divers buts : 1° La culture générale (formation de l’esprit) ; 2° La récréation (utilisation des loisirs) ; 3° L’instruction (la science transmise par le manuel l’autodidaxie) ; 4° L’information et la documentation (renseignements).

Il faut lire toute sa vie : 1° Dans la prime jeunesse, car c’est le moyen d’acquérir le vocabulaire, d’apprendre à bien s’exprimer, d’ouvrir l’esprit. Toute la matière enseignée, revue sous l’angle de la lecture apparaît plus ample, réelle, donnée d’une vie nouvelle, plus importante. 2° Lire comme étudiant. C’est le moment où l’intelligence est conduite vers les hauts sommets, un moment où l’on dispose de loisirs. Lire, c’est écouter plusieurs maîtres, l’ensemble des maîtres. 3° Lire une fois entière dans la vie active, car alors le contact direct avec les réalités qu’il faut savoir maîtriser et discipliner fait revoir encore différemment les choses et toute l’expérience déposées dans les livres par ceux qui les ont composés est susceptible alors de vivifier et d’amplifier extraordinairement l’expérience personnelle qui s’acquiert. 3° Lire au moment où l’on se retire de la vie active, à l’heure dite de la retraite et qui devrait être précieusement l’heure d’un renouveau intellectuel à raison des grands loisirs qu’elle apporte pour la lecture. Les livres se chargent encore de signification quand ils sont lus et aussi relus après une vie déjà longue, faite à la fois d’étude, d’action et de sentiments mis en œuvre.[1]

  1. Mazel, Henri, 1906. — Ce qu’il faut lire dans sa Vie. (Cycle complet de lectures systématiques embrassant toutes les périodes de l’existence et conduisant l’homme jusqu’à son âge mûr, l’esprit enrichi de tout ce qu’il aurait retenu de son voyage à travers la littérature universelle.)