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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

presse ». Il appelle l’attention des critiques sur le caractère essentiel de l’ouvrage, offre des renseignements, propose des préjugés favorables à un choix préalable.

8. — Efficacité de la critique.

Les critiques n’ont guère que des sanctions morales pour leurs jugements ; l’efficacité de ceux-ci est donc limitée. Certains critiques ont été jusqu’à demander de boycotter des livres (ex. Revue des Lectures, dr. l’Abbé Bethleem). Une critique consciencieuse ferme empêcherait de naître bien des livres sans intérêt. Elle aiderait l’éditeur qui n’aurait plus à redouter qu’on lui oppose en face d’un insuccès justifié qu’on a eu bonne presse ; elle supprimerait les vingt placards de publicité (payés) dont s’amusait M. Rosny, il ramènerait le temps où le public, avant de choisir, regardait la critique. (Gabriel Beauchesne)

Discuter les mérites d’une œuvre, ce n’est pas la détruire. C’est guider son auteur dans la voie qui conduit au mieux. La critique hautement comprise est ici la collaboratrice directement associée à une œuvre qui devient commune (auteur, critique, public).

En U. R. S. S. on a donné une forme systématique à la critique dramatique. L’auteur d’une pièce peut être appelé à la discuter avec un comité d’autres auteurs, à répondre à leurs critiques et par suite, s’il y a lieu, d’apporter à son œuvre les modifications jugées utiles.

9. — Organismes.

Il existe une association de la critique qui publie un bulletin « La Critique Littéraire ». Une association des critiques poétiques est tentée. Il existe un Congrès international de la Critique dramatique et musicale. Il a traité de la sauvegarde par tous moyens de la liberté de la critique, qu’il s’efforcera de faire garantir par des lois ; de l’extension aux critiques de tous les pays des avantages et des droits conquis par une association nationale.

256.2 Critique et Histoire littéraire.

a) La critique littéraire analyse les procédés des littérateurs.[1][2]

Il y a deux moments différents, d’abord on lit pour comprendre un auteur et pour se l’assimiler ; à un autre moment, on envisage la littérature comme un document et on cherche à situer l’auteur.

En histoire littéraire, le but est de connaître une individualité, d’en pousser la description jusqu’à la plus fine nuance ; les moyens : tout individu, quoique unique est situé quelque part dans le temps et dans l’espace, toute œuvre, quoique unique, est située dons quelques moments de la vie de son auteur.

On ne peut prétendre à définir ou à mesurer la qualité ou l’énergie d’une œuvre littéraire, sans nous être exposés d’abord directement, naïvement à son action. L’élimination entière de l’élément subjectif n’est donc ni désirable ni possible et l’impressionnisme est à la base de notre travail.

L’histoire littéraire est une partie de l’histoire de la civilisation et comme toute histoire, elle s’efforce d’atteindre des faits généraux, de détacher les faits représentatifs, de marquer l’enchaînement de faits généraux et représentatifs. (L. Auzon)

La littérature est la réussite de quelques grands artistes. « Avant de lire un chef-d’œuvre, je ne sais pas, d’information personnelle, que c’en est un : je vais donc toujours à la découverte, je suis bien obligé de lire tout ce qui m’est accessible, et c’est par un hasard heureux que je rencontre le chef-d’œuvre. » (S. Etienne)

La critique littéraire connaît deux méthodes, la méthode évolutive et le commentaire impressionniste. Une troisième méthode consisterait à décrire les états de sensibilité que l’art a exprimés.

b) La critique de Boileau est toute dogmatique. Elle rend des sentences au nom de règles que les classiques croient immortelles. La beauté est absolue : il n’y a qu’un genre de beauté, la beauté classique. En dehors d’elle, il n’y a que désordre et mauvais goût. (La querelle des anciens et des modernes). Pour Mme de Staël et Chateaubriand, la beauté des œuvres littéraires est relative ; elle dépend du temps, des circonstances, de la race, de la religion, des mœurs et de la forme de la société. Villemain montre le rapport étroit entre les idées philosophiques, les mœurs et les lettres (XVIIIe siècle). Sainte-Beuve s’astreint à une critique impersonnelle, réaliste, scientifique. Il s’efforce de sortir de lui-même pour entrer sans prévention dans l’auteur qu’il étudie. Il l’interroge aussi bien sur son caractère physique, sur son tempérament que sur la force de son esprit ou la complexité de son âme.

Taine tâche de faire de la critique une véritable science. Pour lui les phénomènes de la vie intellectuelle et morale étaient gouvernés par des lois aussi rigoureuses que celles du monde physique. L’homme est un animal d’espèce supérieure qui produit des philosophies et des poésies, à peu près comme les vers à soie font leurs cocons et comme les abeilles leur ruche. Le but de la critique est de chercher les causes qui ont déterminé la naissance d’un chef-d’œuvre. Ces causes si multiples soient-elles se ramènent à trois groupes : l’influence de la

  1. Lanson : La méthode de l’Histoire Littéraire (Revue du Mois, 1910, t. II, p. 403). — Paul Van Tieghem : La question des méthodes en histoire littéraire. (Premier Congrès International d’Histoire littéraire, Budapest, 21-23 mai 1931). (Bulletin des Sciences historiques, 1931). — Etienne, S. : Défense de la Philologie, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, fasc. LIV, 1933.
  2. J. B. Besançon et W. Struik. Précis historique et anthologie de la littérature française. Le Critique, II. p. 325.