tal européen ou yankee elle n’aurait ni ports, ni chemins de fer, ni même de gouvernement stable. Mais, premier stade dans l’affranchissement, elle a déjà son indépendance au point de vue agricole. Malgré la grande diversité des races qui s’entre-croisent dans l’Amérique du Sud, l’action constante et séculaire des lois romaines, de la religion commune, des idées françaises, semble avoir donné à ces jeunes républiques une conscience latine. L’Amérique du Sud a donc une réelle unité, fondée sur la religion, la race, le langage, les analogies du développement ; ni l’Europe, ni l’Asie, ni l’Afrique ne présentent au même point cette unité morale. Celle-ci s’accentue chaque jour. Les Congrès internationaux sud-américains, comme ceux tenus à Montevideo et à Santiago, travaillent maintenant systématiquement à unifier intellectuellement cette partie du monde. Certes, l’Amérique latine a des attaches intellectuelles avec l’Europe, en particulier avec la péninsule ibérique, attaches que des associations matérialisent (Union Ibero Americana, Casa de America) ; mais politiquement c’est dans la sphère continentale que paraissent être ses intérêts naturels, ceux de son avenir surtout. Le morcellement de l’Amérique du Sud en subdivisions politiques, dû à de simples accidents de leur histoire, ne sera pas éternel. Dès à présent s’esquissent des futurs groupements des peuples qui remplaceraient par 7 nations puissantes les 20 républiques divisées : 1° l’Amérique centrale, (5 petits États, qui étaient unis jusqu’en 1842 et qui se joindront peut-être au Mexique), 2° la Confédération des Antilles (îles de la mer Caraïbe), 3° la grande Colombie (les anciens États-Unis de Colombie), 4° la Confédération du Pacifique (le Vénézuéla et l’Équateur, déjà réunis autrefois, et le Pérou), 5° la Confédération de la Plata (union de la Bolivie, de l’Uruguay et du Paraguay, à la république Argentine, union déjà rêvée en partie par Rosas), 6° le Brésil, 7° le Mexique. De son côté, l’alliance de l’A. B. C., les trois peuples les plus riches en civilisation et en organisation, les plus avancés du continent sud-américain, viendra exercer une tutelle bienfaisante sur les républiques sœurs, et une action modératrice sur les États-Unis ; elle saura réaliser ainsi l’équilibre entre les Saxons et les Latins.
Les faits récents accentuent le caractère de l’évolution américaine. La guerre européenne a montré à l’Amérique ce qu’elle doit éviter à tout prix : la politique de rivalité, de compétitions, de chicanes, de taquineries et de domination. La guerre l’a aussi enrichi immensément (14 milliards de réserve d’or) : triplement des exportations, et sa richesse doublée encore par le fait que les peuples d’Europe sont en train de s’épuiser en hommes, en énergie et en capitaux. L’ouverture du canal de Panama va déplacer probablement l’axe de la politique du monde qui était jusqu’ici dans l’Atlantique. En se rapprochant de New-York, l’Orient s’éloignera de Liverpool et des ports d’Europe.