Page:Otlet - Monde - 1935.djvu/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 384 —


SPIRITUALISATION UNIVERSELLE.


Et voilà que, plongée dans la plus effroyable des matérialités, quand même la spiritualité s’avère et s’impose. La matérialité de notre milieu, de nos activités, de nos besoins, de nos jouissances, avec par dessus tout le matérialisme de nos conceptions, de nos systèmes, de notre philosophie, de notre économie, de notre sociologie, de notre art et de notre morale. Mais la spiritualité s’avère.

La technique et le machinisme, les serviteurs de cette matérialité et les créateurs irresponsables de ce matérialisme, les voilà eux-mêmes les tributaires, les fils directs des sciences, et de la plus pure, la plus abstraite, la plus spirituelle d’entre elles, la mathématique.

L’art d’entre-tuer et d’entre-détruire devient science à son tour ou application de la science générale étrangère par définition à l’usage qui est fait des vérités qu’elle a conquises. À l’art primitif et brutal de l’assaillant se substitue un art subtil, un calcul d’espace et de trajectoires et de tangentes qui s’inscrit dans le sol par des tranchées profondes, des glacis inaccessibles et des forteresses, qui s’uniront dans les airs par tous les théorèmes de la balistique.

On se battait sur un point, sur une ligne, sur une surface et maintenant la guerre est à trois dimensions, méditant peut être en secret l’utilisation d’une quatrième ou nouvelle dimension, une diabolique application de la géométrie de Rieman et de la relativité d’Einstein.

Elle s’en prenait à des coups, à la projection de lourdes matières, et maintenant c’est par le plus subtil et le plus invisible des gaz qu’elle progresse à travers la mort.

L’économie aussi se spiritualise en devenant plus subtile. Qu’est-ce, sinon la manière dont les biens, objets de transaction ou de possession, se sont dégagés des formes matérielles du produit, naturel ou fabriqué, pour prendre celle de leurs titres représentatifs et s’élever dans l’abstraction de la finance par le mécanisme de bourses où l’on ne voit plus que vendeurs et acheteurs maniant leurs capitaux par le mécanisme de banques où des