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TOLSTOÏ 301 de La mélodie de la forêt dont parle Richard Wagner l . « ... Celui qui fuit le monde s’abandonne peu à peu à l’im- pression des murmures, alors il distingue les voix d’une variété infinie qui s’élèvent dans la forêt et qui forment la grande, l’unique mélodie de la forêt. Cette mélodie laisse en lui un éternel retentissement, mais la redire est impossible, car l’impression éprouvée est complexe ; elle résulte de la pureté de l’air, des effets de lumière, du calme délicieux, du bruissement des arbres, du chant des oiseaux et de l’état plus ou moins voilé de toutes les sonorités ; l’effet total ne peut être ressenti que dans la forêt. Il y aurait folie à vouloir s’emparer de l’un des gracieux chanteurs et de lui faire rendre la mélodie delà forêt. On obtiendrait ainsi, non pas un fragment de la grande symphonie de la forêt, mais un lambeau privé de signification par son isolement de l’ensemble harmonieux qui a charmé... » Le style de Tolstoï, intraduisible, produit comme toute son œuvre, une impression forte, grave, pessimiste. L’iro- nie en est presque totalement absente. Tolstoï fait rarement sourire le lecteur, mais toujours penser et méditer. Dans mon ouvrage La Philosophie de Tolstoï J’ai constaté que le penseur russe n’était pas pessimiste. Je suis toujours de cet avis relativement à la partie abstraite de son œuvre. Dans ses romans, Tolstoï est pessimiste. Cette contradiction n’est qu’apparente. Toute l’œuvre de Tolstoï, comme sa vie, donne la sensation psychologique d’une antinomie, d’une lutte entre le sens physique, positif et le sens moral, entre l’idéal, produit de larges aspirations et le sens du vide, du néant de la vie. Tolstoï est d’abord fataliste dans ses romans. Dans Guerre et Paix, il fait dormir Koutouzov au conseil de guerre où Ton discute le plan de bataille d’Austerlitz. A la veille de Borodino, Kou- . Lettre sur la musique à Frédéric Villot, 1861.