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jeune veuve, sans aucun espoir de retour. Il résolut de voyager. À peine embarqué sur un bateau, il s’aperçut que sa bourse était trop maigre pour continuer le voyage et il retourna à Saint-Pétersbourg.

Ce fut une époque très pénible pour Gogol. Il lui fallait penser aux moyens matériels d’existence. En 1830, il occupe un modeste emploi dans le département des apanages. Il garde cette place très peu de temps et se met à donner des leçons particulières, sans grand succès. Un jour, un de ses élèves lui demanda : « Quand commencerons-nous nos leçons de russe, Nicolas Vassiliévitch ? » — « À quoi bon ces leçons ? Personne ne peut apprendre à bien écrire, cela est inné et ne s’acquiert pas. En parcourant vos cahiers, je vous ferai des observations et des corrections, — cela suffit. »

En 1831, Gogol fit paraître la première partie des Soirées de Dikaneka[1]. Le succès fut colossal. La Nuit de Mai ravit tout le monde. « … Connaissez-vous la nuit de l’Ukraine ? L’air est frais et pourtant il oppresse, chargé de langueur et de parfums. Nuit divine ! Nuit enchanteresse ! Immobiles et pensives, les forêts reposent pleines de ténèbres, projetant leurs grandes ombres. Voici des étangs silencieux : leurs eaux sombres et froides sont tristement emprisonnées dans les murailles de verdure des jardins. La petite forêt vierge de merisiers et de prunelles risque timidement ses racines dans le froid de l’eau ; par moments, ses feuilles murmurent comme un frisson d’abandon, quand le vent de nuit se glisse à la dérobée et la caresse. Tout l’horizon dort, tout respire, tout est auguste et imposant. Et dans l’âme, comme au ciel, s’ouvrent des espaces infinis ; une foule de visions argentées se lèvent avec grâce de ses profondeurs. Nuit divine ! Nuit enchanteresse !… »

  1. Vetchera na choutoré bliz Dikaneky. La seconde partie parut en 1832.