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en Europe, je pourrais être le premier savant. » Beaux rêves de jeunesse ! « Si jamais je deviens un vieillard de soixante-dix ans, écrit Tolstoï à cette époque[1], mes rêves seront aussi enfantins qu’aujourd’hui. Je rêverai à une belle Marie quelconque, qui m’aimera, moi, vieillard édenté... Je rêverai que mon fils est devenu subitement ministre ou que j’ai de nombreux millions. »

Tolstoï entra à l’Université en 1843, c’est-à-dire à l’âge de quinze ans, à la Faculté des Langues orientales. Il n’y avait aucune raison particulière dans le choix de cette Faculté, si ce n’est celle que tout le monde se portait généralement vers la Faculté de Droit : Tolstoï, dans sa jeunesse, ne voulait jamais rien faire comme tout le monde. D’ailleurs, un an après, il abandonna la Faculté des Langues orientales pour celle de Droit.

Durant les premiers mois, il s’intéressa beaucoup au droit d’État ; il commença même un travail comparatif de l’Esprit des Lois de Montesquieu et des Lois de Catherine II, mais au bout d’un certain temps, le travail fut abandonné. Il avait commencé à lire des ouvrages de philosophie à l’âge de seize ans ; il se passionna pour Rousseau, et c’est avec discernement et de très bonne heure qu’il abjura sa foi première. Élevé dans la religion chrétienne orthodoxe, à dix-sept ans il ne croyait plus à l’Église, et cela suivant sa propre impulsion.

Mais si Tolstoï ne croyait plus à ce qu’on lui avait enseigné dans son enfance, il croyait à quelque chose. Ce quelque chose était le perfectionnement moral. « Je voulais être bon, mais j’étais jeune, j’étais seul, tout à fait seul, quand je cherchais le bien[2]. »

Dans la société des amis de son frère Nicolas que Léon

  1. Jeunesse.
  2. La philosophie de Tolstoï, p. 14.