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tence, et, s’écrie-t-il, vive la lutte éternelle, jusqu’à la Jérusalem Nouvelle.

— Vous croyez à la Jérusalem Nouvelle ?

— J’y crois, répond avec force Raskolnikov.

— Et… croyez-vous en Dieu ?

— J’y crois.

— Et… à la résurrection de Lazare ?

— Oui.

— Vous y croyez littéralement ?

— Littéralement.

Raskolnikov est un croyant et un mystique. Or, le mysticisme est le signe distinctif de la faiblesse de la raison, de l’absence de critique. L’impulsion chez lui est plus puissante que la conception. Il semble vouloir supprimer toute morale conventionnelle, créer quelque chose de neuf et il n’admet aucune critique pour le dogmatisme orthodoxe qui rétrécit les intelligences, anéantit la liberté morale. En cela, il diffère de Zarathoustra de Nietzsche. Zarathoustra, lui, cherche la puissance rationnelle : « Maintenant, je meurs et je disparais, et dans un instant je ne serai plus rien. Les âmes sont aussi mortelles que les corps. » Et encore :

« Croyez-moi, mes frères ! l’Hébreu qu’honorent les prédicateurs mourut trop tôt, lui-même aurait rétracté sa doctrine s’il avait vécu jusqu’à mon Age ! Il était assez noble pour se rétracter. Mais il n’était pas mûr encore… Jadis on disait : Dieu, quand on regardait sur des mers lointaines ; mais maintenant, je vous ai appris à dire : Surhomme… Je vous enseigne le Surhomme. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’est le singe pour l’homme ? Une dérision et une honte douloureuse ! Vous avez tracé le chemin du ver jusqu’à l’homme, et il vous est resté beaucoup du ver. Le Surhomme est le sens de la terre »[1].

  1. Nietzsche. Ainsi parla Zarathoustra.