Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Raskolnikov marche, chez Sonia qu’il connaît à peine, de long en large sans parler, sans la regarder. À la fin, il s’approche d’elle. Il a les yeux étincelants, les lèvres tremblantes. Lui mettant les deux mains sur les épaules, il jette un regard enflammé sur son visage mouillé de larmes… Tout à coup, il se baisse jusqu’à terre et baise le pied de la jeune fille. Celle-ci recule effrayée, comme elle eût fait devant un fou. Du reste, la physionomie de Raskolnikov, en ce moment, est celle d’un aliéné.

— Que faites-vous ? Devant moi ! balbutie Sonia en pâlissant, le cœur douloureusement serré.

Il se relève aussitôt.

— Ce n’est pas devant toi que je me suis prosterné, mais devant toute la souffrance humaine… Que faire ? dis-le moi.

— Va tout de suite, à l’instant même, au prochain carrefour, prosterne-toi et baise la terre que tu as souillée, ensuite incline-toi de chaque côté en disant tout haut à tout le monde : « J’ai tué ! »

— Non, je n’irai pas ! Ils égorgent eux-mêmes des millions d’hommes et ils s’en font un mérite. Ce sont des coquins et des lâches, Sonia ! J’ai commis un crime ? quel crime ? celui d’avoir tué une vermine sale et malfaisante, une vieille usurière nuisible à tout le monde, un vampire qui suçait le sang des pauvres… Mais un tel meurtre devrait obtenir l’indulgence pour quarante péchés !

Raskolnikov va tout de même au Marché-au-Foin, toujours rempli de monde. Un immense attendrissement s’empare de lui, ses yeux se remplissent de larmes. Il se met à genoux au milieu de la place, se courbe jusqu’à terre et baise avec joie le sol boueux. Mais les mots : « J’ai tué », expirent sur ses lèvres.

Finalement, il se livre à la police, obligé par Sonia d’avouer son crime. On le condamne aux travaux forcés. Sonia l’accompagne en Sibérie.