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dans ce livre par un maître à qui rien n’échappe. On y trouve le tableau complet de l’évolution du crime, depuis la naissance de l’idée jusqu’à l’effusion du sang, qui met un terme à sa fatale croissance. La puissante description et l’exactitude scientifique des quatre étapes évolutives du crime de Raskolnikov sont vraiment remarquables. On constate : 1) l’idée du crime qui surgit dans l’esprit ; 2) la pensée subséquente qui sert à mûrir le plan du forfait ; 3) l’action criminelle elle-même ; 4) la réaction qui accompagne le crime accompli. L’idée du crime ne se développe pas d’elle-même, par la voie d’un processus logique, elle trouve le terrain préparé par la vie, par le milieu ambiant, par l’état social.

La beauté émotive et intellectuelle de Crime et Châtiment n’a jamais été dépassée, même par Résurrection de Tolstoï.

Le héros du roman, Raskolnikov, est un ancien étudiant ; la misère l’obligea de quitter l’Université. Il est seul à Saint-Pétersbourg : sa famille — très honorable — habite la province. Raskolnikov a un caractère morose, sombre, lier, hautain, hypocondriaque, mais bon et généreux.

À certains moments, il est d’une taciturnité extrême. Tout lui est à charge, tout le monde le dérange, et il reste couché sans rien faire. Il n’écoute pas jusqu’au bout ce qu’on lui dit. Jamais il ne s’intéresse aux choses qui, à un moment donné, intéressent tout le monde. Il a une très haute opinion de lui-même « et en cela il n’a pas tout à fait tort », dit son ami Razoumikhine, personnage très sympathique.

Raskolnikov est un tendre, écrasé par de continuels échecs ; il voit se rétrécir de plus en plus le cercle du besoin affreux dans lequel se débat sa mère adorée. Perdu dans cette ville inconnue, témoin des injustices sociales,