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II


Souvenirs de la Maison des Morts et Crime et Châtiment sont les deux chefs-d’œuvre de Dostoïevsky. Je les préfère de beaucoup à ses autres ouvrages[1]. Tout Dostoïevsky s’y reflète et s’y résume.

Souvenirs de la Maison des Morts est un tableau de la vie dans les prisons sibériennes. Les habitants de cette Maison des Morts ne constituent pas une masse terne, uniforme, mais un organisme vivant avec des joies, de la haine, de l’espérance, toutes les lueurs, toutes les nuances humaines. Les personnages les plus variés et les plus étranges défilent devant le lecteur.

Au commencement du séjour de Dostoïevsky au bagne, un jeune détenu au visage régulier excita vivement sa curiosité. Son nom était Sirotkine : c’était un être énigmatique à beaucoup d’égards. Sa figure avait frappé Dostoïevsky. Il n’avait pas plus de vingt-trois ans et il était condamné aux travaux forcés à perpétuité, on devait le considérer comme un des criminels militaires les plus dangereux. Doux et tranquille, il parlait peu et riait très rarement. Ses yeux bleus, son teint pur, ses cheveux blond clair lui donnaient une expression douce que ne gâtait même pas son crâne rasé. Il était remarquablement paresseux et toujours vêtu comme un souillon. Sirotkine

  1. Pauvre gens, l’Idiot, Humiliés et Offensés, Possédés, Frères Karamazov, etc.