Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sources. J’ai engagé mes effets. Anna Grigorievna[1] a tout engagé, jusqu’à ses derniers vêtements. Elle m’a consolé comme un ange !… Dans deux ou trois semaines, je serai absolument sans le sou ; et celui qui se noie tend la main sans interroger sa raison. Je n’ai personne, sauf vous, et, si vous ne m’aidez pas, je suis perdu. Ne me laissez pas ainsi, Dieu vous en récompensera. »

De retour en Russie, Dostoïevsky se jette dans un panslavisme absurde, il devient dévot, très dévot, comme Gogol, comme plus tard Soloviov[2]. Membre (1878), puis vice-président (1880) du Comité slave, — qui depuis a pris le nom de Société slave — il en est l’âme.

Pour fêter le cinquantenaire de cette société, Dostoïevsky ne trouve rien de mieux que de présenter à ses collègues et de leur faire adopter une adresse au Tsar, adresse pleine d’expressions basses, indignes d’un liomme libre. Sainte-Russie, Orthodoxie, Panslavisme, Petit-père, ces mots sonores mais vides de sens s’y trouvent. à chaque phrase.

Lorsque éclata la guerre turco-russe, le jadis pacifique Dostoïevsky écrit dans son journal : « La guerre ! La guerre est déclarée !… C’est le peuple lui-même qui a voulu la guerre, d’accord avec le Tsar. Dès que la parole du Tsar eut retentit, le peuple se pressa dans les églises, par toute la Russie… Le colosse russe ne sera pas ébranlé… Notre force, c’est notre confiance dans le colosse russe… L’Europe craint que notre vieil édifice de tant de siècles ne s’écroule, l’Europe crie : « La Russie se meurt ! La Russie n’est rien et ne sera jamais rien ! » Les cœurs de nos ennemis tressaillent de joie… Ils ne remarquent pas la chose principale : l’alliance du Tsar avec le peuple !… La corne d’or et Constantinople, tout cela sera à nous…

  1. La femme du romancier.
  2. Philosophe russe, 1803-1900. Voir notre ouvrage : La Philosophie russe contemporaine.