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plice. Or, la plus grande souffrance n’est peut-être pas causée par les blessures, mais par la conviction que dans une heure, puis dans dix minutes, puis dans une seconde notre âme s’envolera de notre corps, que nous ne serons plus un homme, et que cela est certain ; le pire, c’est cette certitude.

Le même personnage — Gabriel Ardalionovitch — constate qu’il n’y a aucune proportion entre la peine de mort et le crime qu’elle prétend punir : l’une est infiniment plus atroce que l’autre. L’homme que les brigands assassinent, celui qu’on égorge la nuit, dans un bois, n’importe comment, espère jusqu’à la dernière minute conserver la vie. On a vu des gens qui, le couteau dans la gorge, espéraient encore, fuyaient, suppliaient. Mais ici, ce dernier reste d’espoir qui rend la mort dix fois plus douce, on vous le supprime radicalement ; ici il y a une sentence, et la certitude que vous n’y échapperez pas constitue à elle seule un supplice tel qu’il n’en est pas de plus affreux au monde. Placez un soldat devant la bouche d’un canon dans une bataille, et tirez sur lui, il espérera encore, mais lisez à ce même soldat son arrêt de mort, il deviendra fou ou se mettra à pleurer. Qui a dit que la nature humaine pouvait supporter cela sans tomber dans la folie ? « Il existe peut-être un homme à qui on a donné lecture d’une condamnation capitale et qu’on a laissé un moment en proie à la terreur, pour lui dire ensuite : « Va-t-en tu es gracié ! » Cet homme-là pourrait raconter ses impressions. Non, il n’est pas permis d’en user ainsi avec un être humain ! »

La lecture de l’arrêt de mort contribua beaucoup au développement de l’épilepsie de Dostoïevsky, elle lui suggéra aussi des réflexions exprimées dans des pages fortes et belles.

L’auteur des Pauvres gens fut privé de tous ses droits et condamné aux travaux forcés.