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l’apparition de Pauvres gens : « Comprenez-vous bien vous-même ce que vous avez fait ? écrivit-il à l’auteur. C’est la révélation de l’art ; respectez votre talent, vous serez un grand écrivain »

Voici ce qu’écrit Dostoïevsky dans son Journal à propos de son premier roman : « C’était au mois de mai 1845. J’avais terminé mes Pauvres gens et ne savais quoi en faire. Je n’avais aucune connaissance dans le monde littéraire, sauf Grigorovitch[1] qui habitait chez Nekrassov. Un jour, il me dit : « Nekrassov se propose de fonder une revue. Donnez-lui donc votre manuscrit. » Je portai mon travail au poète qui me fit un accueil charmant... J’avais écrit mon livre avec passion, mais je me méfiais quand même du résultat... Dans la soirée du même jour j’allai chez un ami lire les Âmes Mortes de Gogol... Je rentrai chez moi à quatre heures du matin, par une claire nuit de printemps. À peine rentré, un coup de sonnette retentit, à mon grand étonnement. Grigorovitch et Nekrassov entrèrent comme des fous et se mirent à m’embrasser. Ils avaient lu les dix premières pages de mon roman, « pour voir », puis dix autres, encore dix autres et avaient fini par passer la nuit à me lire à haute voix. Nekrassov avait été pris d’un enthousiasme délirant... La lecture terminée, ils avaient résolu d’aller chez moi. « Il dort », avait objecté Nekrassov. « On le réveillera, » répondit Grigorovitch... Le lendemain Nekrassov porta le manuscrit à Biélinsky : « Un nouveau Gogol nous est né. » — « Les Gogol poussent maintenant comme des champignons, » remarqua le grand critique, mais il consentit à lire le manuscrit. Le soir Nekrassov trouva Biélinsky dans une agitation extraordinaire : « Amenez-moi l’auteur le plus vite possible, » clama-t-il... « Je comprends que je viens de vivre un moment solennel,

  1. Romancier.