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jamais d’explications et ne manifestait jamais de curiosité importune. Une lecture sérieuse le fatiguait, les poètes le remuèrent, car, somme toute, il était jeune… Comme tout le monde, il eut dans son existence ce moment de bonheur que chacun éprouve, ce moment de la floraison des forces et des illusions.

À vingt ans, il vint à Saint-Pétersbourg et entra dans une des nombreuses administrations de la capitale. Il abandonna bientôt le service, car il s’aperçut qu’il n’offrait pas les mêmes douceurs que la vie de famille et de province. Gentilhomme et possédant quelques revenus héréditaires, il conservait des aspirations diverses ; il espérait toujours en quelque chose, il attendait beaucoup de la destinée et de lui-même, il espérait jouer un rôle dans la vie, le bonheur domestique souriait à son imagination, mais les années se succédèrent, le duvet se changea en barbe rude, le regard devint terne, les cheveux commencèrent à tomber, les trente ans sonnèrent et Oblomov n’avait pas encore fait un seul pas dans aucune carrière. Toujours il était sur le point de vivre, toujours il brodait en imagination son avenir des couleurs les plus vives. Peu à peu, il se libérait des embarras de la vie active, il se retirait en lui-même, il vivait dans un monde créé par son imagination.

À trente-trois ans, Oblomov est d’un extérieur agréable, mais « ses traits accusent l’absence de toute idée profonde et précise. » La pensée se promène librement sur son visage, elle voltige dans ses yeux, se pose sur ses lèvres à demi ouvertes et se cache dans les plis de son front, « pour disparaître ensuite tout à fait » ; alors, sur toute la physionomie s’étend une teinte uniforme d’insouciance. Cette insouciance se répand partout, jusque dans les plis de la robe de chambre, pour laquelle Oblomov a un faible particulier. Généralement, le regard d’Oblomov est terne et