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voilà ce qui fait l’œuvre d’art. Cependant, l’auteur d’Oblomov prenait ses sujets dans le monde seigneurial. D’après les Souvenirs de Léon Tolstoï, Gontcharov, « homme instruit et très intelligent, mais pur citadin » était convaincu qu’après les Récits d’un Chasseur de Tourgueniev, rien ne restait plus à écrire sur la vie des classes inférieures. C’était pour lui une matière épuisée. La vie du travailleur lui paraissait une chose négligeable… Tourgueniev, dans ses histoires de moujiks, avait dit tout ce qu’il y avait à en dire. La vie des riches, au contraire, avec leur galanterie et leur mécontentement de tout, lui paraissait une matière inépuisable. « Tel homme du monde donnait à sa dame un baiser sur la main, tel autre sur l’épaule, un troisième sur la nuque. Celui-ci était mécontent à force de ne rien faire, celui-là parce qu’il sentait qu’on ne l’aimait pas. » Et Gontcharov avait la conviction que cette sphère offrait à l’artiste une variété infinie de sujets.

Les trois romans de Gontcharov : Histoire ordinaire, Oblomov, l’Abîme ont pour héros le gentilhomme russe. Dans Histoire ordinaire l’auteur a voulu peindre la génération de 1840 qui manquait de sens pratique. Alouev, le principal personnage du roman, est maintenant une rareté historique, môme en Russie. Oblomov est le chef-d’œuvre de Gontcharov.

Élevé au fond de la province, au milieu de mœurs et de vieilles habitudes nationales, Oblomov avait passé ses vingt premières années dans une atmosphère familiale, nonchalante. À l’école, l’apathie et la timidité de son caractère l’empêchèrent de dévoiler entièrement sa paresse. Il se tenait droit en classe parce qu’il le fallait, il écoutait ce que disaient les professeurs parce qu’on ne pouvait faire autrement, il apprenait ses leçons péniblement avec force soupirs. Il ne posait jamais de questions, ne demandait