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torrent il s’arrête à quelque distance ; des larmes tremblent dans ses yeux et de temps à autre il frappe de sa lance la tête des chardons. Fingal a remarqué l’agitation de son fils, il l’observe à la dérobée, sa joie éclate ; dans le trouble de son âme il se tourne en silence vers les bois du Mora et cache ses larmes sous ses cheveux. Enfin sa voix se fait entendre.

« Premier des fils de Morni, rocher qui défies la tempête, conduis mon armée et combats pour la race de Cormac assassiné ! Ta lance n’est point le bâton d’un enfant et ton épée n’est point une flamme impuissante !

« Fils de Morni, voilà l’ennemi ! détruis ! — Fillan, observe ton chef ; il n’est point calme dans la mêlée, mais il ne brûle point dans les combats d’une ardeur imprudente. Mon fils, observe ton chef ; il est impétueux coiume le torrent de Lubar, mais il n’écume ni ne rugit jamais. Du haut de la nuageuse Mora, Fingal contemplera la bataille. Ossian, non loin de la chute du torrent, tiens-toi près de ton père. Élevez les chants, ô bardes ! que Selma s’avance aux sons de votre voix ! C’est ici ma dernière bataille : couvrez-la de gloire ! »

Tel que le réveil subit des vents ou le mugissement éloigné des mers bouleversées, quand un sombre fantôme, dans sa fureur, fait passer les vagues sur une île ; une île, depuis maintes années le séjour du brouillard sur l’abîme ; telle et plus terrible encore est la rumeur de l’armée s’étendant sur la plaine. Gaul, devant elle, s’avance majestueux ; les torrents brillent entre ses pas ; il mêle aux chants des bardes le bruit de son bouclier, et sur les ailes des vents s’élèvent les voix mélodieuses.

« Sur le Crona, chantaient les bardes, un torrent jaillit pendant la nuit. Il s’enfle dans sa course ténébreuse, jusqu’au premier rayon du jour ; écumant alors, du haut de la montagne il touille avec les ro-