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CROMA

le soupir qui habitait au fond de chaque cœur. C’est le faible rayon de la lune qui, dans le ciel, s’étend sur un nuage. Enfin la musique cesse et le roi de Croma parle ; il parle sans verser une larme, mais la douleur étouffe sa voix.

Fils de Fingal ! ne vois-tu pas un nuage sur la joie de Crothar ? Je n’étais pas triste dans mes fêtes quand mon peuple vivait. Je me réjouissais en présence des étrangers lorsque mon fils brillait dans mon palais ; mais, Ossian, ce rayon s’est évanoui et n’a laissé derrière lui nul sillon de lumière. Il est tombé, fils de Fingal, en combattant pour son père. Rothmar, chef de la verte Tromlo, apprit que mes yeux ne voyaient plus le jour ; il apprit que mes bras étaient oisifs dans mon palais, et l’orgueil de son âme s’éveilla !

Il vint à Croma ; mon peuple tomba devant lui. Dans mon courroux je saisis mes armes ; mais, privé de la vue, que pouvait Crothar ? Mes pas étaient incertains, ma douleur profonde. Je soupirais après les jours qui ne sont plus, ces jours où je combattais, où je triomphais dans le champ du carnage. Mon fils revint de la chasse, Fovargormo à la blonde chevelure. Son bras, trop jeune encore, n’avait point levé l’épée dans le combat ; mais son âme était grande et le feu de la valeur brûlait dans ses yeux. Il vit les pas chancelants de son père et il soupira. — « Roi de Croma, dit-il, est-ce parce que tu n’as pas de fils ; est-ce parce que mon bras est faible que tu soupires ? Je commence, ô mon père, à sentir ma force ; j’ai tiré l’épée de ma jeunesse, et j’ai bandé l’arc. Permets que j’aille, avec les enfants de Croma, à la rencontre de ce Rothmar ; permets que je le combatte, ô mon père ! Je sens brûler mon âme ! — Et tu le combattras, répondis-je, fils de l’aveugle Crothar ! mais que les autres guerriers marchent devant toi, et que je puisse entendre le