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CARTHON

têtes grisâtres ; la face bleue de l’Océan souriait. On voit une vague blanchissante se briser autour d’un rocher éloigné ; une vapeur s’élève lentement du lac. Le long de la plaine silencieuse elle s’avance sous la forme d’un vieillard ; ses larges membres ne se meuvent point, car une ombre soutient le fantôme au milieu des airs : il s’approche du palais de Selma et se dissout en une pluie de sang.

Le roi fut seul à voir l’apparition. Il prévit la mort des guerriers. Il entre en silence dans le palais et prend la lance de son père. La cotte d’armes résonne sur sa poitrine. Les héros se lèvent autour de lui ; ils se regardent en silence et observent les yeux du roi : ils voient la guerre sur son visage, la mort des armées sur sa lance. Mille boucliers aussitôt sont posés sur leurs bras ; mille épées sont tirées et éclairent les salles de Selma. Le cliquetis des armes monte dans l’air ; les chiens hurlent à leur place. Pas une parole parmi les chefs puissants ; chacun d’eux observait les yeux du roi et portait sa main à sa lance.

Fils de Morven, dit le roi, ce n’est pas ici le temps de remplir la coupe ; la bataille s’assombrit autour de nous et la mort plane sur cette terre. Un fantôme ami de Fingal nous a prévenus de l’arrivée de l’ennemi. Les fils de l’étranger viennent sur les vagues houleuses de la mer, car j’ai vu sortir du lac le signe menaçant du danger de Morven. Que chacun prenne sa lourde lance et ceigne le glaive de son père. Que le casque sombre couvre chaque tête ; que l’éclair des armures jaillisse de chaque flanc. La guerre s’amasse comme un orage : bientôt vous entendrez le rugissement de la mort.

Le héros s’avança à la tête de son armée, comme un nuage devant un sillon de verte flamme, quand il s’étend sur le ciel de la nuit et que les marins prévoient la tempête. Ils s’arrêtèrent sur la bruyère du Cona : les jeunes filles aux seins blancs les apercevaient là haut comme une forêt ; elles prévoyaient