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SA CORRESPONDANCE

dans son ventre, sa vertu est dans les plats, et ce n’est certainement pas le casque du salut qui est sur sa tête. Quant à ce qui arrivera dans la suite, je me tais et le conserve au plus profond de mon cœur.

Vous voyez, cher Chapelain, comment je suis prophète. Si quelqu’un veut me donner le don de la divination, je consens à passer pour le Pontife des Augures. En somme, je hais tous ces Babouins, tous ces bouffons et ceux qui leur ressemblent. Je déteste leur orgueil, leur envie, leurs calomnies, leur fausseté, leurs flatteries, leurs flagorneries, toutes les formes enfin sous lesquelles se produisent les vices des courtisans. !t me suffit de savoir que c’est, non par ma faute, mais par le crime des autres que je suis banni. N’est-ce pas un crime que le fait de ces lâches polissons qui m’ont livré au courroux de la Reine, m’ont forcé à me moquer de cette princesse dont j’étais autrefois le favori, qui maintenant me hait, me traite de lâche, d’inerte, d’inutile, — je dirai mieux, — me regarde comme un ennemi d’État ? Moi, de mon côté, qui regardais ses promesses jusqu’à ce jour comme autant d’oracles, j’ai appris qu’à toutes ses paroles, à toutes ses promesses, à ses écrits, à ses lettres, à sa signature, il ne faut ajouter aucune confiance, car elle n’agit que d’après les instigations de ces scélérats. J’avouerai pourtant que c’est une excellente Princesse, mais qu’on doit redouter chez elle la légèreté de son sexe qui la laisse exposée à l’influence pernicieuse des courtisans, ce fléau des Princes. Du reste, ce que j’avais appris autrefois dans l’étude de l’histoire ancienne, j’en ai fait l’expérience moi-même et pour moi-même ; j’en ai reconnu la vérité, à savoir que les Princes sont les plus ingrats des hommes, qu’ils n’aiment personne sincèrement, qu’ils n’agissent que d’après leur caprice, qu’ils n’ont pitié d’aucun malheur, pas même de la mort affrontée et subie pour leur compte ; bien plus, que souvent ils affligent ceux qui leur ont rendu service, que non seulement ils ne songent pas à leur en avoir de la reconnaissance, mais qu’ils les accablent encore d’injustices, les proscrivent quelquefois, leur enlèvent leurs biens et même la vie, comme c’est arrivé dernièrement, au vu et au su de tout le monde, pour le Baron de Samblançay[1].Je pourrais vous placer encore sous les yeux des exemples plus récents de cruauté, si la vérité sur ce point pouvait être aussi peu dangereuse qu’elle est évidente.

En conséquence, nous aussi ne sommes-nous pas autorisés à n’aimer des Princes de ce genre que si nous y trouvons notre intérêt, de n’avoir confiance en eux que d’après les bienfaits que nous en avons déjà reçus ? Il ne faudra point s’affliger de leurs malheurs, mais s’en réjouir : c’est la main du Seigneur qui les frappe. Et moi aussi, cher Chapelain, je me réjouirai un jour au souvenir de tout cela. Un jour arrivera où les astres nous seront plus favorables, où les constellations qui nous sont maintenant contraires nous seront plus propices. Il est arrivé souvent que le désespoir a suscité l’espérance et c’est la critique qui enflamme le génie.
  1. J. de Samblançay (J. de Beaune, baron de), surintendant des finances sous Charles VIII, Louis XII et François Ier (1465-1527), fils d’un bourgeois de Tours. La duchesse d’Angoulême, qui le haïssait, le fit accuser de concussions et condamner à mort : il fut pendu en 1527.