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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

autant que les cieux. Pour nous, puisse Dieu nous accorder de longs jours, afin que nous puissions célébrer votre gloire. — Annecy, le jour de Saint-Martin (11 novembre), écrit plus rapidement qu’on mettrait à faire cuire des asperges, année 1523.


XXIX
Blancherose à Agrippa

Annecy, 20 novembre 1523.

C’est à bras ouverts, comme l’on dit, que nous avons reçu votre lettre, comme un témoignage de votre affection, ô docte entre les doctes. Mais ce n’est pas sans étonnement que nous y avons lu ces plaintes que vous adressez à chaque planète sur la trahison de notre Mercure (comme vous dites) ; aux yeux de tous, aussi insaisissable que le cercle, la sphère ou la figure quadrangulaire, vous passez pour ne donner aucune prise à la fortune. Semblable au soleil lumineux ou à l’air limpide, on vous dit ἄπαθον (apathon) (pour parler comme les Grecs) et votre âme, isolée de la matière, vit en toute liberté au sein de ces entraves physiques qu’on appelle la vie.

Le bonheur doit vous appartenir. Nouveau Démocrite, tendant des pièges à la fortune, vous êtes entré dans le labyrinthe de ce monde non sans le fil conducteur ; pourquoi nous rappeler comme les pleurs d’Héraclite ? Le fils de Maïa est plutôt défiant pour nous que perfide, et vous en chanterez la palinodie dès que vous connaîtrez les secrets de nos oracles. Votre lumière nous éclaire ; mais je ne puis assez vous adorer comme le soleil, vous vénérer comme la déesse de Cynthus[1] ou suivre vos préceptes comme ceux de Minerve. Un pygmée ne peut rien à côté d’Hercule ni Arachné auprès de Pallas. Comparés à vous, nous ne saurions rien être que des enfants suspendus au cou d’un géant, pour ne pas abuser de plus longues réminiscences. Le divin créateur des choses a caché aux émules d’Atlas ce qu’il a découvert largement en quelque sorte aux taupes obscures. Mais hâtons-nous lentement. Fi des trésors de Midas, ou des richesses de Crésus ! La plénitude de nos désirs, la réunion de tous les biens, l’accomplissement de tous nos vœux, voilà ce qu’il nous faut espérer avant la mort, n’en déplaise à Ovide. Le Psalmiste a-t-il jamais vu le juste abandonné, et ses enfants mendiant leur pain ? Quoique les poètes prétendent que Pallas et la Fortune soient perpétuellement en rivalité, entreprenons dans notre intérêt, avec l’aide des dieux, de les mettre d’accord. Il nous faudrait à ce sujet la certitude d’une parole vivante, et vous n’avez jamais pensé que l’espérance pouvait suffire à nourrir les pauvres.

Retenu ici par les liens d’Esculape[2] et d’Apollon, je ne puis encore

  1. Diane.
  2. Blancherose était médecin aux gages de la ville d’Annecy en 1523.