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INTRODUCTION
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L’histoire intime d’un écrivain renommé intéresse toujours, et plus cet écrivain de talent a été l’objet d’acerbes critiques, plus on aime à connaître sa vie, son état d’âme et ses écrits. Au déclin du XVe siècle et dans la première moitié du XVIe, au milieu de ce groupe d’hommes distingués qui honorent cette mémorable époque, une figure apparaît multiple, bizarre, difficile à saisir avec vérité, mais aussi curieuse à étudier pour les circonstances romantiques de son existence pleine d’imprévu que par le côté scientifique. En ces temps déjà lointains, dont l’agitation et le trouble tant politique que religieux semble revivre de nos jours avec les mêmes symptômes caractéristiques, Henri Cornélis Agrippa[1] occupe une place de savant et d’original vagabond employé tour à tour aux besognes les plus variées : militaire, humaniste, théologien, jurisconsulte, médecin, alchimiste, il possède tout le cycle des connaissances sacrées et profanes, mais il a peu d’idées générales ; c’est avant tout un vulgarisateur, doué d’une vaste érudition compliquée de tous les écarts d’une extraordinaire liberté d’opinion et d’une extrême mobilité de caractère. Comme Paracelse, son contemporain également alchimiste et médecin, il se plaisait à captiver le public par les innovations les plus étranges et les doctrines les plus osées. Sa vie, sur laquelle on a beaucoup écrit de fables fantastiques, fut en harmonie avec ses paradoxes.

On trouve dans ses 450 Epistolæ familiares[2] sa véridique autobiographie, non moins qu’un document magnifique d’histoire littéraire, où il se révèle d’une surprenante activité qui s’est produite sur les théâtres les plus divers. Consulté par les plus puissants personnages d’alors, il n’est pas une question importante à laquelle il ne soit mêlé. Aussi, malgré ses travers et sa versatilité proverbiale, ne mérite-t-il pas de tomber sous le ridicule dont Rabelais s’est plu à le couvrir. Sur de plaisantes

  1. Son vrai nom, donné par les pièces authentiques contemporaines est Cornélis : Agrippa serait, ainsi que Nettesheim, un simple surnom. Les comptes de finances de Metz entre 1517 et 1520, au temps où Agrippa était aux gages de cette ville, mentionne « à Maître Hanry Cornélis dict Agrippa… »
  2. Elles ont été publiées dans le tome II de ses Opera omnia, Lyon, 1600, apud Beringos fratres, édition originale qui contient deux portraits sur bois d’Agrippa.