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SA VIE ET SON ŒUVRE

4.000 fantassins que commandaient des capitaines de sa famille, les d’Yllens de Grolée[1], de passer à l’ennemi. Dans plusieurs de ses lettres, il fait allusion aux offres bourboniennes, et il les « acceptera si on l’y force ». Le connétable poursuivait le cours de ses succès et s’apprêtait à mettre le siège devant Rome. Comme c’était là un événement décisif, ce prince rebelle crut devoir consulter les devins. C’est à notre philosophe qu’il s’adresse. Agrippa lui répond avec une solennelle assurance que le hardi assiégeant n’aurait qu’à sonner de la trompette pour faire tomber les murailles de la Ville Éternelle[2]. Mais le prophète omit un trait qui avait son importance, c’est de prédire que le Connétable y serait tué. Il est vrai que cette prédiction avait son côté délicat qui ne dut pas échapper à sa sagacité. Nul doute que ses bons offices envers Bourbon ne fussent à ce point désintéressés qu’il n’en reçut quelques munificences ; mais il n’en parle jamais dans ses lettres, et, s’il est vrai qu’il tira des ressources de ce côté, il n’en obtint pas assez pour mettre ordre à ses affaires.

C’était le cas ou jamais d’appliquer ses connaissances alchimiques à la transmutation en or des plus vils métaux et de découvrir cette pierre philosophale qu’il cherche et fait chercher par ses adeptes dans toute l’Europe. Mais sa science occulte est elle-même insuffisante à conjurer la détresse. Délaissant cornues et alambics, qui ne répondent pas à son attente, il a recours aux supplications afin d’obtenir ce pain quotidien « qu’il n’aura un jour plus qu’à toucher pour le convertir en le plus précieux des métaux[3] ». Cette lutte d’Agrippa avec les trésoriers et les payeurs royaux ne laisse pas que d’avoir son côté pittoresquement historique. Elle édifie sur le singulier état où étaient à cette époque les finances, sur leur gestion, et en même temps sur les procédés dont usaient les banquiers de la cour vis-à-vis de leurs créanciers.


IX

Lorsque la reine-mère vint à s’éloigner de Lyon, on a vu qu’elle emmenait à sa suite une majeure partie des personnages de sa maison et, parmi eux, son médecin Chapelain, qui était intimement lié à

  1. Charvet, notes sur cette famille dans la Revue Savoisienne, 1874, pp. 85-88.
  2. Epist., V, 4 et 6. C’est le 30 mars 1527 qu’Agrippa prédit au connétable ses triomphes, et c’est le 6 mai suivant que ce prince périt au siège de Rome.
  3. Epist., IV, 56. Conf. id., V, 3.