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MES RIMES

XII

Sur la grève, un matin, par un temps lourd d’orage,
J’allais philosophant avec mon jeune ami.
Le farouche Océan, qui semblait endormi,
Rompit soudain sa chaîne en rugissant de rage,
Et se leva terrible avec des soubresauts
Fiévreux, intermittents, qui noyaient le rivage.
Du creux vallon des flots sortaient des cris d’oiseaux.
L’écume, à flots salés, nous fouettait le visage.
Sur le fond mat du ciel passèrent des vaisseaux ;
Des hommes, par moment, se montraient dans les toiles,
Pièce A pièce à l’orage ils disputaient leurs voiles :
« Pauvres gensl murmurai-je — alors mon compagnon : —
— « Vous les plaignez, dit-il, et moi je les envie,
Certes j’aimerais mieux, sur l’abîme profond,
User comme eux ma vie, et puis dormir au fond,
Que de vivre au carcan d’un métier qui m’ennuie,
Que de traîner mon joug et tracer mon sillon
Sans savoir si l’été fécondera ma peine,
Et si du grain jeté sortira la moisson.
A force de ronger les anneaux de ma chaîne,
Et de heurter ma rage aux murs de ma prison,
Je sens germer en moi des sentiments de haine,
Et je deviens méchant. Censeurs, docteurs, recteurs,
Proviseurs, inspecteurs, tout ce qui rime en eurs,
Je le prends en horreur. Cicéron m’exaspère,
Salluste en fait autant. J’étouffe dans ma chaire,