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nation. Dès les premiers temps de la monarchie, elle fit choix d’une famille pour la destiner au trône. Les hommes libres élevaient le prince sur un bouclier, et disaient retentir l'air de leurs cris et du bruit de leurs armes qu’ils frappaient en signe de joie.

Des révolutions aussi fréquentes qu’elles devaient l'être chez un peuple qui n’avait pas assez clairement tracé les limites, et qui n’avait jamais divisé les différens genres de pouvoirs, ont ébranlé le trône et changé les dynasties. Elles ont successivement favorisé l’accroissement ou la diminution de l’autorité royale ; mais les Français ont toujours senti qu’ils avaient besoin d’un roi.

La puissance du prince a été longtemps enchaînée par l’aristocratie féodale ; mais elle n’a jamais été oubliée par le peuple. On n’a jamais cessé de l’invoquer contre l’injustice ; et dans les temps même de la plus grossière ignorance dans toutes les parties de l’empire, la faiblesse opprimée a toujours tourné ses regards vers le trône comme vers le protecteur chargé de la défendre.

Les funestes conséquences du partage de la puissance royale entre les princes de la même maison ont fait établir l’indivisibilité du trône et la succession par ordre de primogéniture.

Pour ne pas exposer le royaume à la domination des étrangers, pour réserver le sceptre à un Français et former des rois citoyens, les femmes sont exclues de la couronne. Ces maximes sacrées ont toujours été solennellement reconnues dans toutes les assemblées des représentans de la nation, et nous avons été envoyés par nos commettans pour leur donner une nouvelle force.

C’est encore un principe certain, que les Français ne peuvent être taxés sans leur consentement ; et dans le long oubli des droits du peuple, toutes les fois que l’autorité s’est expliquée sur cet important objet, elle a cependant déclaré que les subsides devaient être un octroi libre et volontaire.

Mais, malgré ces précieuses maximes, nous n’avons pas une forme déterminée et complète de gouvernement. Nous n’avons pas une constitution, puisque tous les pouvoirs sont confondus, puisqu’aucune limite n’est tracée. On n'a pas même séparé le pouvoir judiciaire du pouvoir législatif. L’autorité est éparse, ses diverses parties sont toujours en contradiction, et dans leur choc perpétuel les droits des citoyens obscurs sont trahis. Les lois sont ouvertement méprisées, ou plutôt on ne s’est pas même accordé sur ce qu’on devait appeler des lois.

L’établissement de l’autorité royale ne suffit pas sans doute pour créer une constitution. Si cette autorité n’a point de bornes, elle est nécessairement arbitraire, et rien n’est plus directement opposé à une constitution que le pouvoir despotique ; mais il faut avouer qu’en France le défaut de constitution n’a pas été jusqu’à ce jour favorable à la couronne. Souvent des ministres audacieux ont abusé de son autorité. Elle n’a jamais joui que par intervalles de toute la puissance qui doit lui appartenir pour le bonheur de la nation. Combien de fois les projets conçus pour rendre les Français heureux ont éprouvé des obstacles qui ont compromis la majesté du trône ! N’a-t-il pas fallu combattre sans relâche, et presque toujours avec désavantage, contre les prétentions des corps et une multitude de privilèges ?

Le pouvoir, en France, n’a point eu jusqu’à ce jour de base solide, et sa mobilité a souvent permis à l’ambition de se l’approprier pour le faire servir au succès de ses vues.

Une constitution qui déterminerait précisément les droits du monarque et ceux de la nation serait donc aussi utile au roi qu’à nos concitoyens. Il veut que ses sujets soient heureux ; il jouira de leur bonheur, et quand il agira au nom des lois qu’il aura concertées avec les représentans de son peuple, aucun corps, aucun particulier, quels que soient son rang et sa fortune, n’aura la témérité de s'opposer à son pouvoir. Son sort sera mille fois plus glorieux et plus fortuné que celui du despote le plus absolu. La puissance arbitraire fait le malheur de ceux qui l’exercent : les agens auxquels on est forcé de la confier s’efforcent constamment de l’usurper pour leur propre avantage ; il faut sans cesse la céder ou la conquérir.

Et, comme l’a dit un jour un de nos premiers orateurs, dans quel temps de notre monarchie voudrait-on choisir les exemples de notre prétendue constitution ? Proposera-t-on pour modèles les Champs-de-Mars et les Champs-de-Mai sous la première et la seconde