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une de ces ames tendres et immuables ; qui ne savent ni déguiser, ni modérer leurs passions, qui ne connoissent ni l’affoiblissement ni le dégoût, et dont la tenacité sait résister à tout, même à la certitude de n’être plus aimé ; mais j’ai été heureuse pendant dix ans par l’amour de celui qui avoit subjugué mon ame, et ces dix ans je les ai passés tête à tête avec lui, sans aucun moment de dégoût et de langueur. Quand l’âge, les maladies, peut-être aussi la satiété de la jouissance, ont diminué son goût, j’ai été long tems sans m’en appercevoir ; j’aimois pour deux ; je passois ma vie entière avec lui, et mon cœur, exempt de soupçons, jouissoit du plaisir d’aimer et de l’illusion de se croire aimé. Il est vrai que j’ai perdu cet état si heureux, et que ce n’a pas été sans qu’il m’en ait coûté bien des larmes.

Il faut de terribles secousses pour briser de telles chaînes ; la plaie de mon cœur a saigné long-tems. J’ai eu lieu de me plaindre, et j’ai tout pardonné ; j’ai été assez