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opposition ouverte, où le roi, ayant conçu une véritable inquiétude des projets ambitieux de son cousin, se jette, pour les déjouer, dans des mesures qui finissent par en amener l’exécution. Il bannit Bolingbroke: le duc de Lancastre, père de celui-ci, étant mort, le roi s’empare de ses biens, et part pour l’Irlande. Bolingbroke enfreint son ban, et revient en Angleterre, sous le prétexte de réclamer l’héritage qui lui a été ravi par un acte illégal. Ses partisans accourent en foule autour de lui: à mesure que le nombre en augmente, il change de langage, passe par degrés des réclamations aux menaces; et bientôt le sujet venu pour demander justice est un rebelle puissant qui impose des lois. L’oncle et le lieutenant du roi, le duc d’Yorck, qui va à la rencontre de Bolingbroke pour le combattre, finit par traiter avec lui. Le caractère de ce personnage se déploie avec l’action où il est engagé: le duc parle successivement, d’abord au sujet révolté, puis au chef d’un parti nombreux, enfin au nouveau roi; et cette progression est si naturelle, si exactement parallèle aux événemens, que le spectateur n’est pas étonné de trouver, à la fin de la pièce, un bon serviteur de Henri IV dans le même personnage qui a appris avec la plus grande indignation le débarquement de Boling-broke. Les premiers succès de celui-ci étant connus, c’est naturellement sur Richard que, se portent l’intérêt et la curiosité. On est pressé de voir l’effet d’un si grand coup sur l’âme de ce roi irascible et superbe. Ainsi, Richard est appelé sur la scène par l’attente du spectateur en même temps que par le cours de l’action. Il a été averti de la désobéissance de Bolingbroke et de sa tentative: il quitte précipitamment l’Irlande et débarque en Angleterre dans le moment où son adversaire occupe le comté de Glocester; mais certes, le roi ne devait pas marcher droit à l’audacieux agresseur sans s’être bien mis en mesure de lui résister. Ici la vraisemblance se refusait, aussi expressement que l’histoire même, à l’unité de lieu, et Shakespeare n’a pas suivi plus exactement ce celle-ci que la première. Il nous montre Richard dans le pays de Galles: il aurait pu disposer sans peine son sujet de manière à produire les deux rivaux successivement sur le même terrain; mais que de choses n’eût-il pas dû sacrifier pour cela? et qu’y aurait gagné sa tragédie? Unité d’action? nullement; car où trouverait-on une tragédie où l’action soit plus strictement une que dans celle-là? Richard délibère, avec les amis qui lui restent, sur ce qu’il doit faire, et c’est ici que le caractère de ce roi commence à prendre un développement si naturel et si inattendu. Le spectateur avait déjà fait connaissance avec cet étonnant personnage, et se flattait de l’avoir pénétré; mais il y avait en lui quelque chose de secret et de profond qui n’avait point paru dans la prospérité, et qee l’infortune seule pouvait faire éclater. Le fond du caraetère est le même; c’est toujours l’orgueil, c’est toujours la plus haute idée de sa dignité: mais ce même orgueil qui, lorsqu’il était, accompagné de puissance, se manifestait par la légèreté, par l’impatience de tout obstacle, par une irréflexion qui ne lui permettait pas même de soupçonner que tout pouvoir humain a ses juges et ses bornes; cet orgueil, une fois privé de force, est devenu grave et sérieux, solennel et mesuré. Ce qui soutient Richard, c’est une conscience inaltérable de sa grandeur , c’est la certitude que nul événement humain n’a pu la détruire, puisque rien ne peut faire qu’il ne soit né et qu’il n’ait été roi. Les jouissances du pouvoir lui ont échappé; mais, l’idée de sa vocation au rang suprème lui reste: dans ce qu’il est, il persiste à honorer ce qu’il fut; et ce respect obstiné pour un titre que personne ne lui reconnaît plus ôte au sentiment de son infortune tout ce qui pourrait l’humilier ou l’abattre. Les idées, les émotions par lesquelles cette révolution du caractère de Richard se