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LETTRE A M. C***

SUR

L’UNITÉ DE TEMPS ET DE LIEU
DANS LA TRAGÉDIE
___________



Monsieur,


C’est une tentation à laquelle il est difficile de résister, que celle d’expliquer son opinion à un homme qui soutient l’opinion contraire avec beaucoup d’esprit et de politesse, avec une grande connaissance de la matière et une ferme conviction. Cette tentation, vous me l’avez donnée, Monsieur, en exposant les raisons qui vous portent à condamner le système dramatique que j’ai suivi dans la tragédie intitulée, Il conte dí Carmagnola, dont vous m’avez fait l’honneur de rendre compte dans le Lycée français. Veuillez donc bien subir les conséquences de cette faveur, en lisant les observations que vous m’avez suggérées.

Je me garderai bien de prendre la défense de ma tragédie contre vos bienveillantes censures, mêlées d’ailleurs d’encouragemens qui font plus, pour moi, que les compenser. Vouloir prouver que l’on a fait une tragédie bonne de tout point est une thèse toujours insoutenable, et qui serait ridicule ici, à propos d’une tragédie écrite en italien, par un homme dont elle est le coup d’essai, et qui ne peut, par conséquent, exciter en France aucune attention. Je me tiendrai donc dans la question générale des deux unités; et lorsqu’il me faudra des exemples, je les chercherai dans d’autres ouvrages dont le mérite est constaté par le jugement des siècles et des nations. Que s’il m’arrive parfois d’être obligé de parler de Carmagnola, pour raisonner sur l’application que vous faites de vos principes à ce sujet particulier de tragédie, je tâcherai de la considérer comme un sujet encore à traiter.

Dans une question aussi rebattue que celle des deux unités, il est bien difficile de rien dire d’important qui n’ait été di: vous avez cependant envisagé la question sous un aspect en partie nouveau; et je la prends envisagé volontiers telle que vous l’avez posée: c’est, je crois, un moyen de la rendre moins ennuyeuse et moins superflue.

J’avais dit que le seul fondement sur lequel on a pendant long-temps établi la règle des deux unités est l’impossibilité de sauver autrement la