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et délicat. Sublime et naïf, vigoureux et riant ; nouveau Prothée, il sait prendre toutes sortes de forme, et nous enchanter en donnant des préceptes par la magie de son style, par le prestige de son coloris. A l’énergie de Rubens, il réunit la fraîcheur de l’Albane. Qu’il est charmant ce portrait d’un berger et d’une bergère, que le peintre embellit de tous les ornements dont la nature peut le décorer ! “Il leur prête les sentiments les plus vifs, les plus tendres que l’amour inspire, et les place dans un bocage embelli d’un gazon émaillé de fleurs, bordé de paysages, varié de mille objets agréables, arrosé de ruisseaux, dont les eaux argentées roulent sur des cailloux brillants, enchassés dans un sable doré ; les oiseaux viennent mêler leur ramage mélodieux au tendre langage de ces jeunes amants.” Quelles images ! quelle poésie ! et combien sont éloignés de connaître Quesnay, ceux qui imaginent qu’il n’a jamais sacrifié aux grâces[1].

On est étonné de ce qu’il se soit trouvé peu de génies qui aient été doués d’un goût sûr. On cessera de l’être, si l’on réfléchit sur la différence que Quesnay met entre les causes qui forment l’un et l’autre. Le goût est produit par un sentiment exquis, et le génie par une intelligence prompte, par une imagination ardente, par des sentiments vifs et élevés. Le goût demande beaucoup de connaissance, surtout celle des règles ; le génie peut exister sans elles. Témoin Racan et le menuisier de Nevers[2], appellé le Virgile à rabot. Tous les deux hommes de génie, le premier était dans l’ignorance, et le second n’avait pas la moindre teinture des sciences et des beaux arts[3]. L’Abbé Desfontaines, devenu si redoutable dans l’empire littéraire, par ses critiques, dont la plupart étaient des satires, avait acquis beaucoup de connaissances ; il avait du goût, malgré la partialité, la fausseté de ses jugements : cependant il était né sans génie. La nature et l’art forment le goût ; le génie est dû tout entier à la nature ; mais ce que la nature fournit au goût est infiniment moins rare et moins précieux que ce qu’elle donne au génie. Avouons néanmoins qu’il est très difficile de juger sainement des ouvrages de l’esprit.

Quesnay termine son Essai physique sur l’économie animale, par

  1. Comparer page 120 et la note 1, page 121. A. O.
  2. Maître Adam, sous Louis XIII, auteur de la chanson : Aussitôt que la lumière. (Note de l’original.)
  3. Rapin, dans ses Réflexions sur l’éloquence et la poésie. (Note de l’original.)