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continuelles, il les souffrit avec une patience héroïque, et lorsque ses amis lui témoignaient combien ils en étaient touchés, il répondait naïvement, « il faut bien avoir quelques maux à mon âge, les autres ont la pierre, sont paralytiques, aveugles, sourds, cacochymes ; eh bien, moi j’ai la goutte ! je ne suis pas plus à plaindre qu’eux ; » il changeait alors de propos, et la conversation devenait très vive, et souvent même très gaie et très amusante. Cet homme cependant si dur pour lui-même, était d’une sensibilité rare pour les souffrances des autres ; il ne pouvait même voir souffrir un animal sans éprouver la plus vive émotion.

Malgré la multiplicité des connaissances de M. Quesnay et la vivacité de son esprit, il avait senti que la liberté de penser devait avoir des bornes ; il avait fait une étude suivie des matières de la religion[1], et tous ses écrits portent l’empreinte du respect qu’il avait pour elle ; on lui a toujours rendu justice sur cet article ; ses mœurs et sa conduite étaient pour ainsi dire l’image et l’expression vivante de ses sentiments à cet égard. Il en a recueilli le fruit par la tranquillité qui accompagna ses derniers moments ; il est mort le 16 décembre 1774, ayant vu approcher la mort avec la même sérénité qu’il aurait contemplé la fin d’un beau jour, calme précieux qui n’accompagne que la mort des gens de bien, et qui fuit alors loin de ceux qui se sont égarés hors des sentiers de la vertu.

M. Quesnay n’était ni d’une taille ni d’une figure avantageuses ; il avait cependant une physionomie spirituelle, et sa conversation ne démentait pas ce coup-d’œil ; elle était également instructive et amusante ; il possédait l’art précieux de se mettre à la portée de tous ceux avec lesquels il avait à traiter, et de ne laisser paraître de sa capacité que ce qui était nécessaire pour les instruire sans choquer leur amour-propre en leur faisant sentir une supériorité inutile.

Il possédait au suprême degré l’art de connaître les hommes ; il les forçait pour ainsi dire sans qu’ils s’en aperçussent, à se montrer à ses yeux tels qu’ils étaient ; aussi accordait-il sa confiance sans réserve à ceux qui la méritaient, et le long usage de la cour l’avait mis à portée de parler sans rien dire aux autres ; il ne les ménageait cependant à ce point que lorsqu’ils ne s’étaient pas trop démasqués ; ceux qui lui montraient à découvert une âme

  1. On ne sait rien d’un mémoire spécial sur cette matière. Il s’agit probablement d’un essai qui toutefois n’a pas été publié. A. O.