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Ce projet si louable éprouva cependant des difficultés de la part de sa mère ; elle voyait avec peine tout son système renversé, et l’amour maternel lui peignait avec les couleurs les plus vives les dangers qu’avait à courir un jeune homme de seize ans hors de la maison paternelle : cette crainte cependant qui n’eût été que trop juste avec beaucoup d’autres, ne devait pas l’alarmer pour son fils ; l’ardeur du jeune homme pour acquérir les connaissances qui lui manquaient était devenue chez lui une passion violente qui exigeait impérieusement le sacrifice de toutes les autres : il fallut donc se rendre à laisser partir le jeune Quesnay.

Comme il s’était déterminé à commencer par l’état de la chirurgie, il se mit pour en apprendre les premiers éléments chez un chirurgien établi dans son voisinage et qu’il crut en état de les lui enseigner ; il se trompait, il ne put en tirer que d’apprendre à saigner. Mais s’il ne fut pas d’un grand secours au jeune Quesnay, celui-ci lui fut en récompense très utile ; cette espèce de maître n’était pas même reçu à Paris, d’où ressortissait le lieu de sa résidence, et, ce qui est bien pis, il n’était nullement en état de l’être. Le jeune Quesnay lui vint fort à propos ; il trouva moyen de s’emparer pendant l’absence du jeune homme, dès cahiers que celui-ci écrivait pour sa propre instruction, il les vint présenter à Paris au lieutenant du premier chirurgien du roi comme des leçons qu’il donnait à son élève : celui-ci les trouva excellentes et, sans autre examen, lui délivra ses lettres de maîtrise[1] : c’était Quesnay qu’il recevait, sans le savoir, sous le nom de l’autre.

  1. La communauté des chirurgiens de Paris était organisée comme un corps de jurandes. Elle se divisait en deux sections ; la section inférieure comprenait les barbiers-chirurgiens, la section supérieure, les chirurgiens de Saint-Côme. Les membres de cette dernière section, à laquelle Quesnay appartenait, avaient suivi les cours de l’école de Saint-Côme et étaient considérés comme de vrais maîtres. — Comme il est souvent question, dans la suite, des institutions dont il s’agit, nous reproduisons ci-après un abrégé de leurs statuts, tel qu’il est contenu dans le Dictionnaire du Commerce de Savary, édition de 1759, article „Chirurgien“. Les statuts datent de 1699 et 1701 et se divisent en 17 titres.

    „Le 1er titre traite des droits et de la juridiction du premier chirurgien du roi, qui est déclaré chef et garde des chartes et privilèges de la chirurgie et barberie du royaume.

    Le 2e parle de ceux qui composent la communauté, qui sont le premier chirurgien du roi et son lieutenant ; les quatre prévôts et gardes ; le receveur, le greffier et les maîtres, divisés en quatre classes.

    Dans le 3e, l’élection des prévôts et du receveur est réglée, savoir, celle de deux nouveaux prévôts chaque année. et celle du receveur seulement tous les deux ans ; toutes trois à la pluralité des voix et dans l’assemblée générale.

    Le 4e est pour la convocation das assemblées, l’ordre des séances et la manière de donner et recueillir les voix. Le premier chirurgien du roi est président né îles assemblées ; son lieutenant préside en son absence : et en celle du lieutenant, l’ancien des prévôts en charge.

    Il est parlé dans le 5e titre, de ceux qui doivent composer les assemblées générales ; dans le 6e, de ceux qui composent les assemblées du conseil : et dans le 7e, de l’élection de ces derniers.

    Le 8e traite des droits, immunités, prérogatives et fonctions de la communauté. L’art de la chirurgie y est déclaré un art libéral, avec attribution de tous les privilèges des arts libéraux. Les armes de la communauté, qui sont d’azur, a trois boîtes d’or, deux en chef et l’autre en pointe, avec une fleur de lys d’or en abîme, lui sont confirmées : et l’on y donne aux maîtres de Paris, le droit d’être reçus aggrégés dans toutes les communautés du royaume, sans nouvelle expérience, et sans rien payer, avec séance du jour de leur réception dans celle de Paris.

    Le 9e marque qui sont ceux qui peuvent exercer la chirurgie dans la ville et faubourgs de Paris ; ce qui n’est permis qu’aux maîtres, ou aux aggrégés. reçus dans la communauté, soit au grand chef-d’œuvre, soit à la légère expérience.

    Le 10e parle des apprentis, des aspirants à la maîtrise, et des qualités qu’il tant avoir pour être admis au grand chef-d’œuvre. Aucun des maîtres ne peut avoir plus d’un apprenti à la fois ; l’apprentissage ne peut être moins de deux ans sans interruption : nul ne peut être aspirant pour le grand chef-d’œuvre, s’il n’est fils de maître, ou apprenti de maître, ou s’il n’a servi l’un des maîtres pendant six ans consécutifs, ou plusieurs maîtres pendant sept ans. En cas de concurrence, les fils de maîtres ont le premier lieu, suivant l’ancienneté de leur père : ensuite les apprentis, et puis les garçons et serviteurs des maîtres.

    Dans le 11e titre, on explique les actes qui composent le grand chef-d’œuvre : ces actes sont l’immatricule, la tentative, le premier examen, les quatre semaines, le dernier examen et la prestation du serment. L’immatricule, c’est l’enregistrement du nom de l’aspirant sur le registre de la communauté, comme admis au chef-d’œuvre, qui ne lui est accordé qu’après qu’il a été jugé suffisant et capable par un examen sommaire. Les interrogats du premier examen se font par neuf maîtres, au choix du premier chirurgien, et ceux du dernier, par douze au moins, tirés au sort. Les quatre semaines sont, la première de l’ostéologie, la seconde de l’anatomie, la troisième des saignées, et la quatrième et dernière des médicaments, pendant lesquelles l’aspirant soutient divers actes, fait plusieurs démonstrations, compose divers médicaments, et répond à plusieurs interrogations qui lui sont faites par les quatre prévôts en charge. Enfin dans le dernier acte, appelé de réception, ou de I)reptation de serment, l’aspirant est interrogé par le premier chirurgien, ou son lieutenant, sur quelque maladie, ou quelque opération chirurgique, dont sur-le-champ il est obligé de faire son rapport par écrit : et son rapport lu et approuvé, il est reçu et prête le serment.

    Dans le 12e titre, on traite de la légère expérience, qui consiste en deux examens faits en deux jours différents, l’un sur la théorie et l’autre sur les opérations.

    Le 13e titre est des aggrégés à la communauté, et de la manière de les aggréger et recevoir. Ceux qui peuvent être aggrégés sont les chirurgiens du roi, ceux de la famille royale, les quatre barbiers-chirurgiens suivant la cour, à la nomination du grand prévôt ; les huit chirurgiens servant en la grande artillerie ; les principaux chirurgiens de l’hôtel royal des invalides, qui y auront servi six ans, etc., qui tous après avoir été reçus, ne font plus qu’un même corps avec la communauté, jouissent des mêmes privilèges, sont sujets à la même police, soumis aux mêmes statuts, et régis par les mêmes règles.

    On parle des experts pour les bandages des hernies dans le 14e titre, et de la réception des maîtresses sages-femmes dans le 15e. À l’égard des premiers, il leur est défendu de faire aucune opération, ni incision, sous quelque prétexte que ce soit ; et il leur est permis de faire seulement l’application de leur bandage. Aucun aspirant ne peut être admis à être reçu à la qualité d’expert pour les bandages que sur le consentement du premier médecin du roi, et s’il n’a servi deux ans chez l’un des maîtres chirurgiens, ou chez l’un des experts, pour lors établis à Paris. Dans l’examen qu’il doit subir, les interrogatif se font par le premier chirurgien, ou son lieutenant, et par les quatre prévôts en charge. Enfin, il doit payer les droits réglés par l’article 126 des statuts. Pour ce qui concerne la réception des sages-femmes, elles ne peuvent être reçues qu’elles ne soient filles de maîtresses, ou apprenties, savoir de trois ans chez les maîtresses, ou de trois mois à l’Hôtel-Dieu. Leur examen se fait par le premier chirurgien, ou son lieutenant, les quatre prévôts en charge, et les quatre jurées sages-femmes du Châtelet. en présence du doyen de la faculté de médecine, des deux médecins du Châtelet. du doyen de la communauté et de huit maîtres. Les droits qu’elles doivent payer sont réglés par l’article 127 des statuts.

    Les droitis qui doivent être payés pour les réceptions et agrégations sont réglés par les huit articles du 16e titre. Enfin le 17e et dernier titre établit la police générale qui doit être observée dans la ville et faubourgs de Paris, par tous ceux qui exercent la chirurgie, ou qui sont tenus à l’exécution des statuts et règlements ; et pour y tenir la main, les visites des prévôts en charge sont ordonnées, même dans les lieux privilégiés“. A. O.