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souffrante et pour la vertu laborieuse, esprit également prompt et patient à la réflexion, qu’autrefois et dans des temps où je vous croyais invulnérable, j’appelais instinct cherche vérités, opiniâtreté invincible au travail de se détromper, ou de nourrir, d’assurer, de fortifier une idée et d’en généraliser les conséquences et les résultats, sagacité dans les aperçus, justesse dans la décomposition, et surtout lumière et divinité de génie, qu’êtes-vous devenus ? Seriez-vous à jamais disparus d’entre nous ? Non, l’auteur de l’évidence a montré qu’il savait se servir de son âme pour la connaître, la saisir, la suivre, la posséder dans l’immortalité. Indépendante des accidents et des ruines de son écorce, cette âme supérieure se montrait toute dominante au milieu des débris de son image habituelle ; de manière qu’assis auprès de notre maître, perclus, aveugle, souffrant et presque accablé, nous le sentions tout entier, nous l’écoutions tout oracle, nous le révérions immortel.

Il le sera, Messieurs, il le doit être d’abord parmi nous ; cette âme vénérable reçoit en cet instant notre hommage, surveille et sourit à nos travaux. Ils lui furent chers jusqu’à son dernier moment, et plus que son souffle et sa vie. Au bruit qui se répandit ici mardi dernier de sa maladie, notre confrère le plus zélé y courut et fut reçu près de son lit, en un temps où depuis plusieurs jours il ne voyait plus personne. Il le trouva dans cet état de tranquillité morale et de résignation physique dans lequel il attendait d’ordinaire patiemment l’événement du combat entre le mal et la nature ; depuis longtemps il ne parlait pas, mais il se ranima au son de la voix du premier auteur et du restaurateur des Éphémérides ; il lui en demanda avec empressement des nouvelles, et de ses amis et compagnons de zèle ; sa parole et la netteté de ses idées furent telles qu’il rendit toute espérance à son disciple. Sitôt après que ce dernier fut sorti, il tomba dans l’affaissement jusques au moment du repos pour lui et du deuil pour nous[1]… Laissons cela, les

  1. On ne sait pas d’une manière certaine si Quesnay est mort à Versailles ou à Paris ; ni les Éloges, ni d’autres publications contemporaines ne fournissent de données positives à ce sujet. C’est pourquoi Joseph Garnier, dans son article Quesnay du Dictionnaire de l’Économie politique (Coquelin et Guillaumin, Paris 1873), a fait suivre la phrase „mort à Versailles“ d’un (?). La question ne peut donc pas être ainsi tranchée en faveur de Versailles, attendu que Quesnay, comme cela résulte de diverses indications, avait à Paris un logement permanent et avait reçu sa retraite quelque temps avant sa mort (voir page 11, note 1). Toutefois, le fait qu’aucun de ses disciples demeurant à Paris n’a assisté à ses derniers moments, et qu’on loue ici particulière l’éditeur des Éphémérides (l’abbé Bandeau) de s’être rendu auprès de Quesnay dès qu’il eut appris que son état s’était aggravé, semble faire pencher définitivement la balance pour Versailles. À Paris, toute la société physiocratique aurait sans doute entouré le lit de mort de son maître. Il faut d’ailleurs remarquer que l’éloge funèbre a été tenu non pas dans la maison mortuaire, devant le cercueil, mais dans le logement, à Paris, du marquis de Mirabeau, devant le buste couronné du défunt et quatre jours après sa mort ; c’était peut-être le jour de l’enterrement à Versailles ; on possède, du reste, aussi peu de renseignements sur l’enterrement que sur le lieu où repose la dépouille de Quesnay. — A. O.