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on ne peut prononcer le nom sans en être attendri, et qui fut la victime honorable de son zele pour les vérités utiles, découvertes par Quesnay, et à la promulgation desquelles il s’est consacré le premier ? La vigueur de ses pensées, l’élévation de ses sentiments, la rapidité de son éloquence, la multiplicité de ses travaux, tous tournés du côté des objets les plus utiles, fixeront en sa faveur le jugement de tous les hommes de bien dans tous les siecles.

Il est encore une gloire plus appréciable que celle de l’esprit, et qu’on ne sauroit refuser à Quesnay sans une extrême injustice. C’est celle qui prend sa source dans les qualités du cœur ; il eut les manieres si simples, les mœurs si douces, le caractere si égal, la conversation si agréable jusqu’à la fin de sa longue carriere, qu’il fît toujours le bonheur de ceux qui l’environnerent. S’il différa en opinions de quelques Savants, et s’il s’engagea avec eux dans des disputes, il n’y mêla jamais la moindre aigreur ; il savoit trop bien que les Ouvrages Polémiques ne doivent pas être des libelles, que la raison ne s’exprime pas par des injures, et qu’on se répand ordinairement en des personnalités, lorsqu’on manque du côté des preuves.

Quesnay avoit le talent peu commun de connoître les hommes au premier coup d’œil ; il pénétroit dans leur intérieur, lisoit au fond de leur ame, saisissoit leur goût, leurs talents, en analysoit l’ensemble, si je puis ainsi m’exprimer. C’est de ce talent que venoit cette prodigieuse variété de tons qu’il prenoit pour se mettre à l’unisson de celui des autres.

L’esprit de la société est de faire briller ceux qui la composent. Quesnay l’avoit cet esprit. Dans les cercles où il étoit, qui s’en retira sans être satisfait de lui-même, et avoir de son propre mérite une opinion avantageuse ? Pour trouver les moyens de faire parler avec succès tout le monde, il feignoit d’être dans l’ignorance de bien des choses, et demandoit d’une maniere toujours proportionnée aux lumieres de ceux auxquels il s’adressoit ; il faisoit penser, et donnoit en quelque sorte de l’esprit sans qu’on s’en apperçût, pour ne pas humilier l’amour-propre. Avec la plus brillante réputation, il avoit une modestie qui donne un nouvel éclat au mérite ; la basse passion de la jalousie n’infecta jamais son ame. Tout à tous, il éclairoit de ses connoissances, les hommes qui le consultoient ; il les aidoit de ses avis, et les encourageoit par l’espérance de la gloire, ou par l’appas des récompenses.