Page:Omont - Athènes au XVIIe siècle, 1901.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
H. OMONT

Je regardois ainsi de costé et d’autre ce qui me paroissoit plus remarquable, quand un Turc, qui me parut avoir plus de 60 ans, se présenta devant moi. Je le saluai fort honnestement en lui disant : Πολλὰ τὰ ἔτη, bas, c’est-à-dire : « Que vos années soient nombreuses » ; car c’est la manière de saluer en ce païs là, et, voulant suivre mon chemin, il m’arresta et me dit : « D’où viens-tu ? » Je lui dis que je venois de voir quelques ruines sur un rocher. « Il est vrai, me dit-il, mais auparavant où as-tu été ? » Je répondis que j’avois considéré quelques antiquités aux environs du chasteau. « Non, non, dit ce vieillard, ce n’est pas cela qui t’amène ici, car il y a longtems que je t’observe et je t’ai vu tourner autour du chasteau pour en remarquer le fort et le foible, afin de voir par quel costé on pourra plus facilement l’attaquer. Tu es un espion, qui vient ici de Candie pour nous trahir. » Il commençoit déjà de m’embarasser, ne sachant pas assez bien la langue pour me justifier, lorsqu’un grand Albanois, qui se rencontra heureusement, prit mon parti et dit à ce Turc que je n’étois pas ce qu’il pensoit, parce que nous avions une maison assez proche de là, où nous demeurions paisiblement sans faire tort à personne, et, pendant qu’il amusoit ce Turc, je me glissai dans une rue, qui me conduisit à notre logis, où étant arrivé je frappai si fort à la porte que notre compagnon accourut aussitôt pour me l’ouvrir. Il eut d’autant plus de joie de me voir que depuis 4 ou 5 heures je m’étois dérobé de lui ; il étoit toujours dans la crainte que ma curiosité ne me fit exposer à quelque péril, dont je ne pourrois pas me retirer.

« Il me dit que nous étions invités avec M. le consul d’aller souper chez le sieur Paléologue, qui nous fit un festin si magnifique que rien n’y étoit à souhaiter qu’un peu plus de modération à casser des verres, car jamais je n’en ai vû tant casser ; chacun se faisoit un plaisir de jeter son verre en l’air après avoir bu. C’est une méchante coutume qu’ils ont en ce païs là d’agir de la sorte, quand ils veulent montrer que la chère est entière, Pour moi, j’avoue que cela ne me plaisoit