mon céleste peintre a daigné m’ébaucher sur cette terre. »
Dans cet autre quatrain, ce que les philosophes appellent
« la tolérance » est exprimé avec une largeur de vue sans
pareille. Nathan le Sage, de Lessing, n’aurait pas mieux
parlé : « Le temple des idoles et la Kaaba sont des lieux
d’adoration ; le carillon des cloches n’est autre chose qu’un
hymne chanté à la louange du Tout-Puissant. Le mehrab,
l’église, le chapelet, la croix sont en vérité autant de
façons différentes de rendre hommage à la Divinité. »
Mais le sentiment qui domine est la fuite rapide du temps
et le peu d’heures qui nous sont laissées pour jouir de
notre frêle existence : « Le clair de lune a découpé la robe
de la nuit : bois donc du vin, car on ne trouve pas toujours
un moment aussi précieux. Oui, livre-toi à la joie,
car ce même clair de lune éclairera bien longtemps encore
après nous la surface de la terre. »
Pour finir cet article sur Kéyam, terminons par ce fier quatrain où il semble défier toute critique : « Si je suis ivre de vin vieux, eh bien ! je Je suis. Si je suis infidèle, guêbre ou idolâtre, eh bien ! je le suis. Chaque groupe d’individus s’est formé une idée sur mon compte. Mais qu’importe ? je m’appartiens et suis ce que je suis. »
Moniteur Universel, feuilleton du 8 décembre 1867. — Cet article a été reproduit dans l’ouvrage l’Orient, du même auteur, Paris, Charpentier, 1877.