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mythologiques ; mais en revanche, elle a des clavicules qui ressemblent à des éperons, — et des salières à mettre, j’en réponds, tout le sel de la sagesse ! Grande et maigre, comme une louve affamée, la figure durement carrée, elle s’avance, ses coudes aigus en saillie, comme si elle allait jouer des cornes, et elle chante avec une voix qui semble en être une, tant elle vous perce le tympan ! Voix criarde, — qu’on m’avait dit puissante, — d’une stridence d’acier qui s’ébrécherait sur de l’acier. Alors, les nerfs de son cou de milan déplumé se gonflent et se tordent, et ses bras qui semblent très-longs, elle les replie anguleusement vers sa poitrine, comme si elle voulait arracher avec ses ongles le sein qu’elle n’a pas !

« Non, non ! Ce n’est plus là la Liberté de Barbier ! C’est la Meurt-de-Faim qui veut manger les autres, l’Ogresse sociale avant la bombance, c’est la Canaille, enfin, qu’elle chante… De physique, elle n’est pas mal tout cela… Avec ses longs cheveux, d’un blond sale sur le dos, ses cheveux en queue de cheval (encore si c’était la queue du terrible cheval qui déchira Brunehaut, mais ce n’est que celle de la haridelle du haquet populaire), avec son long corps, long comme un jour sans pain, avec ses gestes épileptiquement saccadés et sa manière bestiale de marcher, — un cancan tragique ! — elle exprime, — d’organisme naturel — la Canaille, et si elle s’était hâlé les bras et campé bravement sur les vertèbres de son échine les haillons de la misère qu’il y fallait, peut-être aurait-elle fait jaillir, dans les âmes bêtes plus hautes que les âmes bêtes de la foule, un peu de cette brutale et basse poésie qu’elle veut exprimer ; mais la chanteuse de café n’est pas une artiste : elle