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Marc Pol, dans un chapitre qu’il consacre au pays des Ghendou, province du Tibet, nous apprend que là la complaisance des indigènes envers les étrangers est plus complète encore. Quand un voyageur étranger passe et vient demander l’hospitalité, le maître de la maison s’éloigne, il s’en va au loin dans ses vignes ou aux champs ; il ne rentre à la maison qu’après le départ de l’étranger, qui durant tout son séjour a eu à sa disposition la femme, les filles et les sœurs de l’hôte complaisant[1].

Nous sommes là bien loin des exquises délicatesses qui règlent tous nos rapports avec les femmes ; mais il faut considérer que notre éducation est l’œuvre complexe et comme la quintessence de trois générations de civilisations successives que les montagnards du Tibet n’ont connues ni de près ni de loin, puisque nous savons par ce qui nous est revenu de leur histoire, qu’ils se sont séquestrés du monde le plus et le plus longtemps qu’ils ont pu et jusqu’au terme du seizième ou dix-septième siècle.

À Couch, qui est au Bengale un canton de la province du Behar, un usage séculaire a consacré, de créancier à débiteur, un procédé qui exhale comme une âcre senteur de notre moyen âge.

Un créancier, rapporte Turner, peut exiger de son débiteur insolvable qu’il lui livre sa femme en garantie de sa créance ; dans ces conditions, le créancier a la jouissance de cette femme aussi longtemps que dure la position de débiteur chez son mari. Il arrive qu’une femme ainsi mise en gage reste pendant plusieurs années à la disposition du créancier. Les enfants qui naissent de cette union circonstancielle et temporaire sont, au jour de la libération du débiteur, partagés entre le créancier et le mari[2].

Turner fait observer qu’il est acquis dans la contrée que le chagrin que ressent le mari de l’absence de sa femme en pareil cas, est un puissant stimulant à la libération.

  1. Même ouvrage, chap. cxvi, p. 384-385.
  2. Turner, Ambassade au Tibet et au Boutan, t. Ier, chap. i, p. 30.