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couvert, en effet, que Klaproth, pour parler de contrées qu’il n’a pas personnellement visitées, fait intervenir, comme voyageur, un personnage de fantaisie dont il se charge de préciser les impressions et les découvertes.

Que M. de Ujfalvy me permette de le lui dire, son géographe russe et lui-même ont tout simplement découvert le soleil.

La forme de composition littéraire dont a osé J. Klaproth n’est ni une invention qui lui soit propre, ni un expédient de mauvais aloi. Le procédé d’exposition qui fait parler un acteur imaginaire est de toutes les littératures anciennes et modernes, et l’abbé Barthélémy, qui a précédé Klaproth de trois quarts de siècle, l’a employé, après cent autres écrivains, avec le succès que chacun sait. Chez Klaproth, l’intervention d’un voyageur de convention n’est pas plus compromettante, pour l’exactitude et la véracité des faits avancés, que l’intervention du jeune Anacharsis chez l’abbé Barthélémy.

Klaproth a parlé de choses et de contrées qu’il n’a pas vues par lui-même ; mais s’il ne nous a pas trompés, où est ici le mal ?

D’Anville, qui a fait et refait une à une, avec une compétence que nul ne lui conteste, les cartes de toutes les contrées du monde ancien et du monde moderne, « connaissait, dit Dacier, dans l’éloge qu’il a fait de ce géographe, la terre sans l’avoir vue ; il n’était, pour ainsi dire, jamais sorti de Paris et ne s’en était pas éloigné de plus de quarante lieues ». Et M. Élisée Reclus, sous la plume de qui le monde entier aura bientôt passé, n’est qu’un voyageur sédentaire[1]. Il n’est point d’ailleurs de géographes ou de voyageurs quelque peu encyclopédistes qui puissent, en sûreté de con-

  1. Notre collègue M. Élie Reclus me fait observer que son frère Élisée Reclus a voyagé dans l’Amérique du Nord, et M. de Ujfalvy m’annonce que ce géographe vient de partir ou va partir pour l’Asie Mineure. Mon expression de voyageur sédentaire est donc trop absolue et pour le passé et pour le présent. Il est bien certain pourtant que M. Élisée Reclus n’a pas étudié sur place toutes les contrées dont il parle dans les huit ou dix gros volumes qu’il a déjà publiés.